D'espoirs déçus en coups de théâtre et échanges d'invectives, le bras de fer entre Athènes et ses partenaires européens a viré à l'affrontement de deux réalités peut-être irréconciliables, nourri par des clivages idéologiques profonds.
Pâle, les traits tirés, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker résumait lundi devant la presse l'exaspération ambiante: celui qui a personnellement porté le poids des négociations s'avouait "trahi" par la Grèce.
"Je dirai aux Grecs, que j'aime profondément, qu'il ne faut pas se suicider parce qu'on a peur de la mort", lançait-il, appelant le peuple grec à choisir la voie de l'Europe dans le référendum de dimanche.
Le drame était alors à son paroxysme, ponctué par la brutale sortie de scène du ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, quittant samedi dernier - poussé dehors, dira-t-il - une réunion de la zone euro à Bruxelles: la journée a signé la rupture entre Athènes et l'Europe, poussant le pays dans l'inconnu et vers une possible sortie de l'union monétaire.
Le scénario a alors tourné à l'absurde, le Premier ministre grec Alexis Tsipras demandant à ses électeurs de se prononcer, le 5 juillet, sur un plan d'aide des créanciers, Européens et FMI, qui n'existe plus... ce programme ayant expiré le 30 juin. Avant de réclamer un nouveau plan de 30 milliards d'euros sur deux ans, tout en espérant un non massif à ce référendum qui lui servirait de levier pour négocier.
Les Européens, eux, ont fait le pari du oui et s'en remettaient à la voix du peuple grec, reportant jusqu'après le référendum toute discussion sur l'aide à la Grèce.
- 'Chantage et mensonges' -
Dans ce jeu de dupes, le ton est souvent vif. "Nous pouvons à présent observer les méthodes de Syriza, l'intimidation, le chantage, les mensonges", s'insurgeait jeudi le ministre letton des Finances, Janis Reirs.
"Asphyxie financière", "extorsion": Alexis Tsipras n'est pas en reste pour dénoncer les "ultimatums" posés selon lui par les créanciers.
La tactique de négociation d'Athènes est "très énervante et aussi décevante, mais surtout dramatique pour le peuple grec", lançait le président du Parlement européen, Martin Schulz.
Quant à Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, elle appelle la Grèce depuis des semaines à un comportement "adulte".
La fatigue aidant, la distance s'est creusée entre Bruxelles et un interlocuteur jugé de moins en moins crédible. "On est crevés. On a essayé jusqu'au bout de trouver une solution collective", lâchait mercredi un proche des négociations.
"On a l'impression qu'ils ne comprennent pas, qu'ils sont dans une autre réalité", résumait un collaborateur de Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, exprimant le fossé d'incompréhension qui sépare la Grèce du reste de l'Europe depuis l'arrivée, en janvier, du gouvernement Tsipras, dominé par le parti de gauche radicale Syriza.
- Un bloc de droite -
Porté au pouvoir dans un pays épuisé par la crise économique sur la promesse de mettre fin à l'austérité dictée par Bruxelles, Alexis Tsipras affronte un bloc européen dominé par les gouvernements de droite ou du centre, Allemagne en tête.
Ainsi pour le ministre allemand des Finances Wolfgang Schaüble, l'un des plus durs, si l'Europe est aujourd'hui "dans une situation vraiment difficile", c'est "uniquement du fait du comportement des responsables en Grèce, incompréhensible pour tous".
D'autres pays lui ont emboîté le pas, comme l'Espagne, la Finlande ou la Slovaquie, qui ont souffert de l'austérité et verraient comme une injustice qu'Athènes bénéficie d'un traitement de faveur.
Des prises de position qui ne sont pas exemptes d'arrière-pensées politiques de la part de dirigeants soucieux de ménager leur opinion publique. Qu'Alexis Tsipras "énerve l'Eurogroupe, cela peut se comprendre quand on voit l'objectif de ces gens-là", qui sont d'ordre national et pas européen, analyse Bruno Amable, économiste et professeur à l'Université Paris 1.
"Ils veulent montrer à leur opinion publique qu'un gouvernement de gauche radicale mène à l'échec et qu'il faut continuer à faire confiance aux partis habituels" de centre-droit ou de la social-démocratie, assure cet expert.
Yanis Varoufakis dénonce d'ailleurs une volonté "évidente" de la part des partis traditionnels européens de ne pas négocier avec la Grèce. "Ils n'aiment pas l'idée que nous défions la logique établie selon laquelle il est nécessaire d'imposer une plus grande austérité sur une économie en récession", disait-il jeudi sur Bloomberg TV.