Ce n’est pas parce qu’un mensonge est répété 100 fois qu’il devient une vérité. Mais la réalité est souvent trop compliquée à appréhender pour le non-initié… ce qui incite certains faiseurs d’opinion à inventer une « réalité alternative » reposant un slogan simple et complètement réducteur (par exemple, « nous entrons dans une période de Grande reflation »). Ce concept est devenu à la mode tout récemment alors que les marchés baignent dedans depuis 8 ans.
La pensée unique du moment, le leitmotiv qui agite le marché et les gérants qui viennent parler sur les ondes grand public : le CAC40 a du retard. Oui, le CAC40 serait en retard sur le DAX parce que le risque politique dissuade les investisseurs. Donc il paraîtrait que le CAC40 est très en retard sur les indices européens, et notamment sur le DAX 30. Ah bon ? Voyons donc où en est le DAX30 en comparaison du CAC40, de l’Euro Stoxx 50 et autres indices européens…
L’indice allemand cotait 12 000 / 11 980 Pts hier, jeudi ce 22 février.
Comparons ce qui est comparable. Puisque le DAX réintègre les dividendes, prenons le CAC 40 Global Return qui réintègre lui aussi les dividendes versés. Le CAC GR pointe à 12 100/12 080 points. (pour lire la suite et voir les graphiques comparatifs avec les autres indices)
Mais comment être certain qu’un marché est outrageusement suracheté ?
C’est quand les faiseurs d’opinion (notamment les responsables de la stratégie des départements asset management) font des prévisions outrageusement haussières, anticipent des performances stellaires (un krach à la hausse pourquoi pas !) pour le CAC 40, une fois l’incertitude électorale dissipée. Ils commencent à théoriser une « grande reflation » des actions (« the great repricing« )… comme si une multiplication par 3,5% en moyenne des indices américains sous Obama avait constitué une sorte de purgatoire boursier et que les forces bullish allaient enfin pouvoir se libérer, débarrassées des contraintes réglementaires sur fond de déflation fiscale spectaculaire.
Le milieu financier commence à parler d’un scénario d’un Dow Jones à 30 000 points avant la fin du mandat de Donald Trump. Cela représenterait environ 50% de hausse, et ce serait presque petit joueur à côté du S&P 500 qui s’envolerait de +62% à 3 800 points d’ici janvier 2021. Cette performance découlerait le plus naturellement du monde d’une croissance américaine bien installée autour de +4%. Bien entendu, le relèvement des taux d’intérêt n’aurait aucune incidence, pas plus que le gonflement de la dette américaine de 20 000 à 30 000 Mds$ (rappelez-vous la règle : 1 Md$ de dette = 1 point d’indice sur le Dow Jones), personne ne s’avisant que depuis 2010, la croissance est achetée à crédit.
Ce qui est peut-être plus intéressant pour le court terme, c’est le panel des valeurs les plus recommandées par les principaux acteurs financiers de Wall Street. Vous n’y trouverez évidemment aucune surprise : achetez, achetez encore, achetez toujours plus d’Apple (NASDAQ:AAPL), d’Alphabet (NASDAQ:GOOG), d’Applied Materials (NASDAQ:AMAT), d’Amazon (NASDAQ:AMZN), de Broadcom (NASDAQ:AVGO), de Bank of America (NYSE:BAC), de JP Morgan (NYSE:JPM), de Micron (NASDAQ:MU) Technology, de T-Mobile (NASDAQ:TMUS). On dirait presque une liste conçue par un algorithme programmé pour acheter les titres connaissant la plus forte expansion des cours depuis juin 2016. Sûrement un pur hasard…
De la psychologie des robots
Plus de hasard en revanche en matière de propagation de la hausse. Les chartistes connaissaient la règle séculaire des 7 hausses (ou records) consécutives qui signaient, du temps où l’homme existait encore sur les marchés, un climat psychologique de bulle. Quel type de psychologie humaine les algorithmes reflètent-ils désormais avec 10 records d’affilée pour le Nasdaq, 9 pour le Dow Jones (qui culmine désormais à 20 775 Pts)… et 14 pour le S&P du secteur Technologies ?
Oubliez l’humain et sa subjectivité, c’est une référence complètement dépassée – bon débarras. Laissons faire les machines car, contrairement à l’homme, elles ne doutent jamais… et surtout pas de la pertinence de la nouvelle fable moderne du great repricing (si ça monte, c’est que c’est vrai !). Et c’est là que je suis saisi d’un gros doute : n‘est-ce pas une des définitions de la folie que de ne jamais douter de son jugement et de ses actes ?