Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Tandis que les marchés actions grimpaient en flèche, dopés par la perspective de vaccins contre le Covid-19, le bitcoin vient quant à lui de s’envoler de 10 000 $ vers 18 500 $ en l’espace de quatre petites semaines. De là à affirmer que la plus célèbre des cryptomonnaies est l’or du futur, il y a néanmoins un grand pas que Philippe Béchade ne franchit pas…
Ce mouvement haussier sur le bitcoin est probablement lié à un déferlement de « hot money », avec un effet momentum (la hausse appelle la hausse) très comparable à ce qui s’était produit lors du dernier trimestre de 2017, lorsque la cryptodevise évoluait autour des 20 000 $, même si la palette d’investisseur s’est élargie depuis à des « grosses mains » qui ne font pas mystère de diversifier leur patrimoine « au cas où ».
Des déclarations invérifiables font même état de milliardaires qui auraient investi 10% de leur fortune dans le « BTC ». En tout état de cause, personne ne peut aujourd’hui remettre en cause la pertinence de cet « au cas où » si tout le monde se dit « pourquoi ne pas essayer le bitcoin ? » (ou toute autre cryptodevise affichant un niveau de liquidité suffisant). Il faut également souligner que personne ne se pose la question du coût carbone d’une transaction financière vérifiée par une blockchain comparativement à l’impact environnemental d’une opération sécurisée par une architecture « peer to peer ».
Un écologiste tomberait de son siège, mais allez trouver un autre actif qui n’a aucune matérialité, ne rend aucun autre service que de stocker de la « valeur » (laquelle ?) et engrange entre 30 et 40% dans la semaine ? De tels gains, si faciles et sans réel fondement, rendent finalement n’importe quel adepte de la cause environnementale amnésique ou peu regardant, voire plein d’enthousiasme.
A propos d’enthousiasme, le patron de la gestion obligataire de Blackrock (7 800 Mds$ d’actifs sous gestion) estime non seulement que le bitcoin est là « pour durer », mais aussi, et surtout, qu’il va « remplacer l’or ». On ne sait cependant pas s’il s’est exprimé à titre personnel ou s’il décrit en filigranes une nouvelle approche des actifs « cryptos » de son entreprise. A moins qu’il ne reprenne un crédo des millenials qui ignorent à peu près tout du rôle de l’or à travers 3 000 ans d’histoire, jugent « has been » tout ce qui n’est pas du pur numérique et n’imaginent même plus stocker leur épargne dans des unités de valeur ou des supports tangibles.
Reste qu’affirmer que le Bitcoin, c’est l’or du futur, c’est reprendre le slogan favori de ceux qui ne connaissent ni l’or, ni le futur !
La fin de l’illusion libertarienne
Cela étant, les millenials passent du temps à communiquer, visionner des films, des matches et faire leurs courses sur Amazon (NASDAQ:AMZN) via leur smartphone en n’ayant jamais eu l’occasion de réserver un billet de train par Minitel, d’envoyer un fax ou un message par « beeper ». En revanche, leur culture financière et leur compréhension de ce qu’est une « monnaie » ne semble pas avoir beaucoup progressé en 3 ans : dans leur esprit, si Paypal et Visa (NYSE:V) permettent de réaliser des achats en ligne, et si l’Etat de New York autorise des règlements administratifs en stablecoins (plusieurs sont agréés), alors les cryptomonnaies sont de « vraies » monnaies et donc de bons vecteurs pour stocker de la valeur puisque les banques centrales détruisent ouvertement celle des monnaies fiduciaires.
D’ailleurs, aucune de ces dernières n’est capable de prendre 80% en un mois… alors que l’inverse est possible, comme en témoignent les cas des devises vénézuélienne (le bolivar) et libanaise (la livre), auquel pourrait bientôt s’ajouter celui de la livre turque. Sans parler d’autres Etats que le Covid-19 a mis au bord de la faillite et qui se sont placés sous la tutelle du FMI.
L’illusion d’un bitcoin libertarien, anonyme et étanche aux appétits du fisc est néanmoins en train de s’évanouir partout, avec des règles de plus en plus intrusives de la part des autorités bancaires, qui se font les auxiliaires des autorités monétaires et des services fiscaux. Le détenteur « ordinaire » d’une crypto doit en effet s’identifier et déclarer toutes les opérations qu’il réalise, ainsi que ses gains et ses pertes.
Alors bien sûr, il y a toujours la solution de déposer du liquide sur un compte anonyme quelque part aux Bermudes ou au Panama, puis d’effectuer un virement vers un compte tout aussi anonyme dans le Delaware, mais cela commence à ressembler à de la haute voltige et il ne faut pas se faire confisquer sa mallette de billets à la douane. Et une fois que l’on détient des cryptodevises et quelques précieux bitcoins, il ne faut surtout pas perdre ou endommager son porte-monnaie électronique. A cet égard, le « Ledger » offre une bonne sécurité physique pour les enregistrements numériques, meilleure que celle du disque dur d’un ordinateur, mais sachez que si l’un ou l’autre support sont volés, les unités encryptées sont irrécupérables pour leur propriétaire.
De même, une opération rentrée dans la blockchain est par nature irréversible : une erreur de montant pour un achat ne peut être corrigée, et un ordinateur piraté peut rendre une opération d’achat ou de vente transparente aux yeux d’un hacker qui s’empressera de confisquer vos unités en restant totalement anonyme et intraçable. Il n’y a alors aucun recours possible, ni aucune assurance à faire jouer.
Ainsi pouvez-vous vous retrouver totalement démuni face à l’immense opacité du « cloud », sachant de surcroît que ce genre de mésaventure est bien plus fréquent qu’un piratage de compte en banque ou le forçage d’un coffre-fort, qui sont quant à eux prouvables et restent couverts par une assurance.
Retenez enfin que le bitcoin est hypervolatile. En cas de double-top sous 20 000$, il vous faudra en conséquence être capable de liquider les positions à la moindre alerte car les pertes – si les systèmes de cotation saturent en cas de rechute rapide – peuvent se révéler bien plus sévères que prévu.
A bon entendeur !