Jour après jour, la livre turque enfonce de nouveaux planchers historiques sur le marché des changes, tandis que les rendements des emprunts gouvernementaux à court terme en devise locale dépassent les 20%.
Plombée cette fois par la montée des tensions avec les Etats-Unis, la devise a touché un nouveau record de faiblesse face au couple euro-dollar. Contre la monnaie unique, la devise affiche un bilan peu glorieux de -27% depuis le début d’année, se traitant à plus de six livres pour un euro, du jamais vu.
Dernièrement, les investisseurs se sont donc inquiétés de l’enlisement des relations entre Ankara et Washington, dans le cadre de la rétorsion du pasteur américain Andrew Brunson, accusé par les autorités turques d'espionnage et de terrorisme suite au coup d’Etat avorté il y a deux ans.
Son emprisonnement, depuis octobre 2016, a poussé Donald Trump à faire saisir les actifs des ministres turcs de la Justice et de l'Intérieur sur le territoire américain. Dans la foulée, son homologue turc Recep Tayyip Erdogan annonçait des sanctions similaires, si tant est que les secrétaires américains à la Justice ou à l'Intérieur disposent d'avoirs en Turquie.
Au-delà de l’escalade diplomatique, la livre est massacrée depuis de nombreux mois en raison de la politique monétaire peu orthodoxe voulue par le Chef de l’Etat, lequel prône une réduction des taux d'intérêt pour soutenir la croissance, pourtant très vigoureuse, au risque de dissuader tout placement dans la devise turque.
Pourtant, la chute de la livre, qui pourrait vraisemblablement être atténuée par une hausse des taux directeurs de la Banque centrale, étouffe les entreprises du pays endettées en devise étrangères. En outre, les marchés s’inquiètent de l'inflation, qui a atteint près de 16% en juillet en rythme annuel, et du déficit abyssal de la balance des paiements.
Pour soutenir leur monnaie, Erdogan a exhorté la population à « sortir leur or et devises cachées sous leur oreiller ». Ankara avait déjà lancé ce genre d'appel lors de précédentes chutes de la livre, sans résultat, rappelle Les Echos dans son édition de ce 6 août.
Dans un discours dont il a le secret, le Président a également appelé les investisseurs à « ne plus tenir compte de l’avis des trois grandes agences de notation occidentales, orientées politiquement selon lui et qui ont toutes reléguées les obligations turques au statut de placements spéculatifs.
Dérive autoritaire
Dernière en date, Fitch qui a dégradé début juillet le rating de la dette souveraine de la Turquie d’un cran à « BB », estimant que les risques pesant sur la stabilité macroéconomique du pays s’étaient intensifiés.
L’agence, qui a assorti à ce rating une perspective négative, laissant entrevoir de la sorte la possibilité d’autres dégradations, a mis en avant « un environnement financier plus difficile, une accélération de l'inflation ou encore, l'impact du plongeon du taux de change sur le secteur privé, dont la dette est très liée aux devises étrangères ».
Fitch souligne en outre que la crédibilité de la politique économique s'est détériorée ces derniers mois, alors que les premières mesures prises après les élections de juin ont augmenté l'incertitude".
Suite aux élections présidentielles remportées par le Président sortant, le pays est passé pour rappel d'un système parlementaire à un régime présidentiel, faisant de Recep Tayyip Erdogan l'unique détenteur du pouvoir exécutif.
Dans le cadre de cette transition, qui a notamment fait disparaître la fonction de Premier ministre, Erdogan s'est octroyé par décret la prérogative de nommer le chef de la banque centrale, signalant ainsi sa volonté d'avoir la main sur les leviers économiques. Il a par ailleurs nommé son gendre Berat Albayrak comme nouveau ministre des Finances.
20% de rendement annuel en TRY
Sur le marché de la dette, les rendements des obligations en livre turque émises par des émetteurs supranationaux atteignent des niveaux inédits.
C’est notamment le cas de l’emprunt à quatre ans de la Banque européenne d’investissement, noté « AAA » chez Standard & Poor’s, dont le rendement annuel dépasse les 20%.