Hydroxychloroquine, remdesivir, favipiravir, kaletra, tocilizumab... Il y a quelques semaines encore, ces noms barbares n’étaient connus que des seuls spécialistes. Aujourd’hui, ils font naître l’espoir d’un remède contre le Covid-19. L’un d’entre eux sera peut-être la panacée que le monde attend. Car la course est lancée pour être le premier à produire un traitement efficace. Ainsi qu’un vaccin, peut-être l’an prochain
En monopolisant les médias pendant des semaines, la chloroquine du docteur marseillais Didier Raoult a éclipsé quantité d’autres traitements potentiels tout aussi prometteurs. A l’heure actuelle, pas moins de 173 traitements et 115 candidats vaccins sont en développement, certains à un stade avancé. Tous ne franchiront pas la ligne d’arrivée avec succès mais il suffirait d’un ou deux champions pour vaincre cette terrible pandémie.
Les chercheurs du monde entier explorent de nombreuses pistes possibles, chaque facette du virus et chaque réponse du système immunitaire pouvant donner naissance à des stratégies d’attaque. Elles sont variées. Que ce soit en injectant le plasma sanguin de patients guéris ; en inoculant des anticorps susceptibles de déclencher une réponse immunitaire; en recourant à une classe de médicaments appelés antiviraux, qui paralysent le fonctionnement du virus ; ou encore, en modifiant le système immunitaire pour l’aider à mieux se défendre contre le virus.
Certains traitements, notamment les antiviraux, ont déjà été testés, in vitro ou sur des patients, avec ou sans succès, contre d’autres affections virales : VIH, Ebola, Mers, Sras, grippe H1N1… Ont-ils une longueur d’avance sur d’autres pour le traitement du Covid-19 ? Il est peu tôt pour l’affirmer.
Quelques candidats sérieux
A l’heure actuelle, un candidat sérieux est la combinaison lopinavir/ritonavir, un antiviral commercialisé sous la marque Kaletra par le laboratoire Abbvie (une scission d’Abbott (NYSE:ABT)). Cette combinaison est utilisée dans le traitement du VIH. Une étude chinoise récente a donné des résultats décevants mais certains médecins estiment qu’il aurait dû être administré à un stade plus précoce de la maladie.
Autre candidat, le favipiravir, un antiviral commercialisé au Japon sous la marque Avigan par la filiale pharma de Fujifilm, et qui est utilisé en cas d’urgence pour traiter certaines grippes résistantes aux antiviraux classiques. Deux études chinoises ont montré qu’il éradiquait le virus en 4 jours à un stade précoce de la maladie mais les Japonais ont reconnu qu’il était inefficace lorsque le virus était déjà bien installé. Il a été testé contre le Covid-19 en Italie et fait l’objet d’essais cliniques dits de phase III aux Etats-Unis. En revanche, il n’a pas été retenu par « Recovery » et « Discovery », les deux grandes études cliniques européennes.
On parle aussi beaucoup du tocilizumab, commercialisé sous la marque Actrema par le laboratoire Roche (SIX:ROG). D’après une étude française non encore publiée, il aurait diminué de façon significative le nombre de patients devant aller en réanimation. Le tocilizumab appartient à la famille des anticorps monoclonaux. Utilisé pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, il freine l’orage inflammatoire qui survient entre le 8ème et le 10ème jour de l’infection et qui entraine une détresse respiratoire aigüe. Un autre candidat à base d’anticorps monoclonal est le sarilumab commercialisé sous la marque Kevzara et qui est testé expérimentalement contre le Covid-19 par Sanofi (PA:SASY), conjointement avec la biotech’ américaine Regeneron.
Un essai clinique positif fait bondir la bourse
Mais le traitement qui suscite le plus d’espoir à l’heure actuelle est l’antiviral remdesivir, produit par la biotech’ Gilead (NASDAQ:GILD) Sciences. Développé à l’origine pour combattre Ebola, le remdesivir s’était montré performant contre les coronavirus responsables du Mers et du Sras lors d’essais in vitro. Son mode d’action consiste à inhiber la capacité du virus à se répliquer.
La semaine passée, on apprenait qu’un essai clinique du remdesivir avait donné des résultats encourageants. Selon Anthony Fauci, le principal conseiller de la task force de la Maison Blanche, ce traitement permettrait de réduire de 4 jours la durée moyenne d’une hospitalisation, par conséquent de désengorger les hôpitaux et d’alléger la charge du personnel. L’Agence américaine du médicament (FDA) a d’ailleurs accordé deux jours plus tard une autorisation d’utilisation en urgence du remdesivir.
Fauci a admis que le progrès n’était pas spectaculaire, d’autant plus que le médicament ne fait pas baisser la mortalité des patients. Mais les attentes d’un remède sont tellement grandes en ce moment que la simple annonce de la nouvelle a fait bondir Wall Street de 3%. Gilead Sciences a gagné plus de 20% depuis le 1er janvier et sa capitalisation dépasse désormais 100 milliards USD.
En tout état de cause, ce résultat est jugé important car il fait suite à un essai clinique randomisé avec un groupe de contrôle (ayant reçu un placebo), un test plus rigoureux qu’une simple étude ouverte, sans bras de comparaison.
La différence entre les deux types d’essais cliniques, avec groupe de contrôle ou non, est fondamentale car tant qu’on ne peut pas comparer les résultats d’un groupe de patients auquel on administre le médicament d’un autre qui ne le reçoit pas (ou reçoit un placebo à la place), il est impossible de conclure qu’un médicament est efficace. Pouvoir se montrer supérieur à une guérison spontanée est essentiel lorsqu’on sait que près de 95% des patients malades du Covid-19 vont mieux au bout de 15 jours.
La saga de la chloroquine
Cette distinction importante est à l’arrière-plan de la polémique soulevée par le Dr Didier Raoult et son traitement à base d’hydroxychloroquine. Un débat qui a rapidement débordé la stricte discussion scientifique pour se transformer en véritable phénomène de société, charriant avec lui des résonances politiques et idéologiques. Comme du temps de l’affaire Dreyfus, pendant quelques semaines, on était soit pour la chloroquine, soit contre.
Infectiologue de réputation mondiale et personnage haut en couleur, Didier Raoult s’était déjà signalé par un grand nombre de déclarations aussi fracassantes que discutables. En janvier, il minimisait l’épidémie : « Il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale ». Début février, il prétendait encore : « Le virus n’est pas si méchant que ça ».
Le 26 février, il change son fusil d’épaule et proclame une « fin de partie ». En se basant sur les résultats de deux modestes études chinoises, il annonce que l’hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine (un antipaludique bien connu commercialisé sous la marque Nivaquine) associée à de l’azithromycine, un antibiotique possédant une action antivirale, est « probablement le traitement le moins cher et le plus simple contre le coronavirus de la Covid-19 ». Les essais avaient en effet indiqué une diminution sensible de la charge virale.
Médecine populaire ou populiste ?
L’annonce et le personnage suscitent aussitôt un énorme engouement populaire. On se précipite pour obtenir la potion magique du docteur Raoult, laquelle a subitement disparu des rayons des pharmacies. Une pétition exigeant la distribution du médicament aux médecins généralistes réunit plus de 500.000 signatures. Des hommes politiques se ruent dans la bataille pour soutenir le médecin marseillais, dont les méthodes de franc-tireur sont contestées par une partie de la profession médicale. Un sondage Ifop révèle que 98% des Français ont entendu parler du médicament et 58% croient en son efficacité. C’est enfin la consécration lorsque Elon Musk et surtout Donald Trump, vantent la chloroquine comme un remède révolutionnaire (« game changer ») et contribuent à lui donner un écho mondial.
De leur côté, la majorité des médecins sont moins enthousiastes et invitent à la prudence. Les études chinoises étaient peu probantes et les suivantes effectuées par l’équipe de Didier Raoult, manquent de rigueur. Il manque notamment la présence du fameux groupe de contrôle sans lequel il est impossible de décider si c’est le médicament qui agit ou le patient qui guérit de lui-même. Sans compter que le traitement produit des effets secondaires non négligeables et qu’il est déconseillé aux personnes souffrant de problèmes cardiaques.
Ce qui n’arrange rien, Raoult a choisi de s’adresser au grand public en postant des vidéos sur youtube au lieu de communiquer ses résultats dans un article revu par des pairs, et qui est le mode de communication habituel des scientifiques. « C’est de la médecine spectacle, ce n’est pas de la science » se scandalise un médecin réanimateur. « Nous ne sommes pas dans un blockbuster hollywoodien » surenchérit un autre. A quoi Didier Raoult réplique vertement qu’il pratique une médecine de crise et que son but est de sauver des vies dans des situations d’urgence, nullement de tester des médicaments comme le font les « médecins de bureau ». Ambiance !
Que le meilleur gagne
Cette énorme polémique, qui est loin d’être finie, n’est pas sans répercussions. Dans les hôpitaux, certains médecins, confrontés à des situations d’urgence, administrent l’hydroxychloroquine en catastrophe, à titre « compassionnel ». En revanche, les organismes autorisant la mise des médicaments sur le marché comme la FDA aux Etats-Unis ou l’Agence européenne des médicaments mettent en garde contre la prescription de l’hydroxychloroquine hors du milieu hospitalier, tant que celle-ci n’est pas validée par des essais cliniques concluants.
Pour en avoir le cœur net, les deux plus grandes études cliniques en cours, la britannique « Recovery » et l’européenne « Discovery » ont décidé d’intégrer l’hydroxychloroquine dans leur évaluation. Recovery va également tester entre autres, la combinaison antivirale lopinavir/ritonavir et l’anti-inflammatoire tocilizumab. Discovery évaluera aussi le remdesivir.
Les résultats de ces deux essais cliniques réunissant plusieurs milliers de patients sont attendus pour mai ou juin. A moins que le virus n’ait disparu d’ici là dans les pays tempérés et que tous ces remèdes arrivent après la bataille comme vient de le prophétiser Didier Raoult, toujours lui.