Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Mario Draghi a profité d’une conférence de presse vendredi matin depuis Francfort pour brosser le portrait d’une Europe en route pour une croissance robuste, durable (« le momentum haussier va se poursuivre »), auto-entretenue… et même capable d’encaisser des chocs.
▶ Lutte contre la déflation et inflation de colombes
Seule ombre au tableau, l’inflation ne montre pas de signes de raffermissement (+1,4% en zone euro après 1,6% précédemment). La BCE estime donc de son devoir de poursuivre ses efforts pour qu’elle tende vers 2%. Elle peut donc différer un changement de ton et de stratégie sur les taux, maintenant les opérateurs dans la conviction que l’argent restera gratuit encore 6 mois après l’éventuelle extinction du QE en septembre 2018. Autrement dit : lâchez les colombes, elles ont encore 18 mois pour croître et se multiplier sous le regard émerveillé de Goldilocks, et les marchés continueront de célébrer le mariage parfait entre croissance soutenue et absence d’inflation !
Il ne nous aura pas échappé que le patron de la BCE survende la nécessité de combattre la déflation, justifiant ainsi le maintien de béquilles monétaires sur lesquelles les actifs financiarisés continuent de s’appuyer pour continuer de gravir l’escalier vers le paradis (stairway to heaven).
Les marchés obligataires ont pris acte de la fidélité de Mario Draghi à la ligne accommodante poursuivie depuis l’été 2012. Mais les spécialistes du Forex, qui avaient propulsé l’euro/dollar au-delà des 1,18 la semaine dernière ne sont pas revenus sur leur impression post-publication d’indicateurs d’activité (PMI composites) au plus haut depuis 2007. Le délai de grâce promis par la BCE pourrait être raccourci – comment justifier des « taux zéro » quand la croissance atteint une vitesse de +2,8% en Allemagne et se redresse à +1,8% en Italie ? Ce qui tomberait assez mal car le haut de cycle a probablement été atteint aux Etats-Unis en ce troisième trimestre 2017.
Comment pouvons-nous dire cela ?
En fait, nous nous fions au « message technique » que véhicule avec force et insistance le marché obligataire US.
▶ Ecrasement du spread entre le 2 ans et le 10 ans américains
L’aplatissement de la courbe des taux a pris une dimension plus radicale : le rendement des bons du Trésor à 2 ans a inscrit un pic à 1,73% ces dernières séances.
Cela commence à ressembler à un ce ces mouvements funiculaires qui se multiplient sur les indices boursiers. Or, pendant que la partie courte des taux se rapproche inexorablement des 1,75% le rendement du 10 ans se détend symétriquement de 2% de base, à 2,335% : le spread entre le 2 et le 10 ans tombe ainsi sous le seuil des 60 points de base, le plus faible écart depuis très exactement 10 ans (novembre 2007) !
Wall Street continue de parier sur le consommateur américain pour soutenir la croissance – juste ce qu’il faut pour alimenter le « rally de fin d’année », et un 13e mois de hausse consécutif. Les sherpas ont coutume de soutenir Wall Street pour stimuler « l’effet de richesse » à la veille de Thanksgiving (et doper les ventes du Black Friday). Mais pour l’heure, l’article le plus demandé pour Thanksgiving semble être le Bitcoin dont le cours vient de repasser de 5 500 à 8 100 $ en 4 séances. Le précédent record (7 895 $ le 8 novembre) ayant été pulvérisé ce dimanche 19 novembre vers 18h00 grâce à une jolie poussée haussière.
Pourquoi ?
Eh bien…
▶ Le Bitcoin est parfaitement corrélé à… strictement rien !
Aucun marché n’est ouvert nulle part sur la planète le dimanche soir (les Bourses du Golfe persique ferment vers 13h, heure de Paris), donc il ne peut s’agir d’un arbitrage ou d’un mouvement réflexe lié aux fluctuations du dollar ou de l’euro. De plus, même en faisant ses courses sur Internet en prévision du Black Friday, nous ne voyons aucune raison de se précipiter pour se constituer une cagnotte en BTC le dimanche à 18h. Trêve de plaisanterie, le Bitcoin ne constitue que la résurgence exacerbée des esprits animaux de la bulle des dot.com avec l’illusion de participer à une nouvelle aventure technologique et monétaire, d’autant plus prometteuse que personne ne comprend grand-chose à la blockchain, au hashage, aux proof of work, aux forks… et encore moins à la nature véritable d’une monnaie.
Mais la Fed ayant dévoyé au nez et à la barbe des citoyens candides la nature de ce qui ressemblait le plus à une monnaie, quand ces derniers soupçonnent enfin qu’il y a un loup, ils se demandent peut-être si le Bitcoin ne serait pas au fond une façon plus honnête de perdre son argent… dans l’allégresse et dans un grand élan de solidarité.