Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Voilà, c’est tout à fait officiel, la sphère financière bascule dans une “nouvelle ère”.
Au lendemain de la plus forte baisse des indices américains depuis le 19 octobre 1987 (et la plus forte baisse de l’histoire pour le Nasdaq et le Russell-2000), le Congrès s’apprête à voter un package de 1 300 Mds$ de soutien à l’économie tandis que Donald Trump annonce le décollage immédiat de l’Hélicoptère Money : de l’argent (1 000$) va être directement versé par l’Etat Fédéral à l’issue des 2 prochains mois sur le compte des citoyens en “état de nécessité”.
En effet, pour une bonne centaine de millions d’américains qui n’ont même pas 400$ d’épargne devant eux (et sont souvent dans le rouge dès le 2 du mois), il ne sert à rien de leur consentir un cadeau fiscal comme aux ultra-riches en 2018 puisqu’ils ne sont déjà plus imposables depuis longtemps.
Une fois cette stratégie dédiée aux plus pauvres entérinée -à l’unanimité, nécessité fait loi- par le Congrès, il n’y aura plus qu’à l’étendre à l’ensemble de la population… et à renouveler l’opération aussi longtemps que nécessaire.
En ce qui concerne la FED, nous évoquions la possibilité qu’elle se retrouve en capacité d’acheter des actions à l’instar de la Bank of Japan : comme il faudrait modifier ses statuts et que cela nécessite d’élaborer une Loi dont la discussion puis l’adoption feraient perdre un temps précieux, une manière -certes indirecte- d’agir rapidement en ce sens, c’est d’accepter les actions en “collatéral” pour obtenir des liquidités.
La FED ne les “achète” pas… mais accepte de subir le risque que cette “garantie” puisse perdre 20, 30 ou pourquoi pas 50% de sa valeur en 24H ou 48H.
Les exemples pullulaient mercredi soir avec des -25% en moyenne sur les compagnies aériennes, les producteurs pétroliers “junior” et même sur une “major” comme Chevron (NYSE:CVX) qui a subi sa plus lourde perte de son histoire).
Le titre Boeing (NYSE:BA) a peut-être achevé sa capitulation avec une chute de -17,9% au final à 101,84$, après avoir cédé jusqu’à -26% en séance à 89$ (le titre cotait encore 350$ il y a 1 mois) au lendemain de l’évocation du besoin d’une ligne de crédit de 60 Mds$ (il aurait suffi de la moitié pour sauver Lehman en septembre 2008 ou la Grèce en 2010),
L’Amérique ne peut évidemment pas se permettre de laisser Boeing faire faillite, car la production d’avions civils ne constitue qu’une partie de son activité, l’autre étant spécialisée dans les avions de combat, les drones et les missiles de croisière.
Il apparaît donc impératif pour des raisons économiques et de “sécurité nationale” d’empêcher la prolifération de défauts (sur dettes) et contenir la vague de dégradation de notation qui se profile dans le compartiment des producteurs de gaz de schistes et de “shale oil”.
La BCE pourrait emboîter le pas à la FED
La FED a donc annoncé qu’en plus des bons du Trésor qui sont la norme en tant que garantie sur le marché interbancaire, d’autres types de collatéraux seraient désormais acceptés en garantie: du “papier commercial” (c’est à dire la dette d’entreprises court-terme qui sert à refinancer les opérations courantes comme le versement des salaires), les dettes municipales (beaucoup peuvent basculer rapidement en catégorie “junk Bonds” si le chômage explose, les dettes “investment-grade corporate” (dettes d’entreprises notées BBB et “above”).
C’est là aussi une spectaculaire évolution de la doctrine de la FED qui pourrait bien inspirer la BCE.
Nous savons tous qu’elle n’ira pas aussi loin, mais subit déjà une intense pression pour abolir la règle qui fixe à 33% le plafond de détention d’une émission souveraine : cela n’a aucun intérêt s’il s’agit de Bunds allemands, cela pourrait s’avérer vital pour les BTP italiens qui ont fait une embardée au-delà des 3% de rendement mercredi matin, contre 0,95% de rendement une semaine auparavant.
Après la bourde de communication de Christine Lagarde expliquant que la BCE n’avait pas pour vocation de réduire les “spreads” entre les différentes dettes souveraines européennes, le patron de la Banque de France, Mr Villeroy de Galhau, a remis les pendules à l’heure en début de soirée (trop tard pour calmer la panique des places européennes déjà closes) : “La Banque centrale européenne est déterminée à éviter toute fragmentation entre les pays de la zone euro”.
Voilà, la doctrine Draghi est rétablie, celle de l’aventurisme monétaire de la FED est confirmée… et dans les 2 cas, seule une certaine “visibilité” sur les intentions et les moyens est susceptible d’enrayer la défiance totale des opérateurs et le pessimisme radical qui a succédé en 1 mois à un climat de complaisance absolue et de sentiment d’invulnérabilité.
Lors des précédents krachs, les marchés ont hésité à courir ventre à terre jusqu’au bord de la falaise, marquant souvent un temps d’hésitation, s’y reprenant à 2 fois… mais en 2020, les marchés se sont précipités vers le précipice à pleine vitesse et pour être sûrs de ne pas être tentés de faire demi-tour au dernier moment, avec le bandeau de l’ignorance et de l’inconséquence sur les yeux.
Le plongeon de -38% du CAC40 en 4 semaines, de -35% du Dow Jones et de -33% du S&P500, et la tension du VIX au-delà des 80 points devraient nous valoir la séance des “4 sorcières” la plus rock’n’roll depuis le 20 septembre 2008… avec peut-être à la clé le terme boursier le plus cataclysmique depuis le mois de septembre 2001… Nous verrons alors si l’adage “il faut être avide quand les autres paniquent” possède encore un peu de pertinence.