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Mario Draghi: Miser sur les progrès réalisés grâce aux réformes postérieures à la crise

Publié le 21/09/2017 18:46

Intervention de Mario Draghi, président de la BCE et président du Comité européen du risque systémique, à la deuxième conférence annuelle du CERS,

Francfort-sur-le-Main, le 21 septembre 2017

Mesdames et messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir à la deuxième conférence annuelle du Comité européen du risque systémique (CERS).

Cette édition coïncide avec le dixième anniversaire du début de la crise financière mondiale, à l’été 2007. La crise, qui a frappé l’Union européenne (UE) en plein cœur, a nécessité la mise en œuvre d’importantes mesures visant à stabiliser l’économie et le système financier. À présent que la stabilité a pu être rétablie, nous devons impérativement prendre le temps de réfléchir aux leçons que nous avons apprises, à ce que nous avons accompli au cours des dix dernières années et aux domaines dans lesquels il nous faut encore fournir des efforts.

L’un des enseignements que nous avons tirés de la crise est que la capacité de résistance des banques, considérées individuellement, et du système bancaire dans son ensemble devait être renforcée, ce qui explique les nombreuses réformes adoptées ces dernières années. La règlementation et la supervision bancaires sont devenues plus contraignantes. En outre, le cadre réglementaire européen met désormais davantage l’accent sur l’identification et le traitement des risques à l’échelle du système. C’est à cette fin que le CERS a été établi et que des instruments macroprudentiels à l’usage des autorités publiques ont été créés.

Un secteur bancaire plus résilient après la crise

Le secteur bancaire a réalisé des efforts considérables ces dernières années pour améliorer sa capacité de résistance. Dans la zone euro, par exemple, le ratio de fonds propres de base de catégorie 1 (CET1) moyen des établissements importants est passé de 7 % en 2008 à 13,5 % fin 2016. Par ailleurs, les banques sont tenues de mettre en place de solides structures de gouvernance et des pratiques de gestion des risques prudentes. De plus, la capacité de résistance fait à présent l’objet de tests plus rigoureux, et ce dans une optique prospective. Les tests de résistance menés à l’échelle de l’UE et coordonnés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) sont devenus un outil essentiel permettant de quantifier les besoins en fonds propres des banques. L’objectif est qu’elles puissent continuer d’accorder des crédits aux emprunteurs solvables même en cas de grave récession[1], [2].

Les règles prudentielles d’après-crise ont également fourni aux autorités publiques des outils macroprudentiels leur permettant de faire face aux risques systémiques du secteur bancaire[3]. Et on sait mieux d’ailleurs, aujourd’hui, comment étalonner et mettre en œuvre ces outils. Par exemple, tous les États membres sont désormais dotés d’un dispositif de coussins de fonds propres contracycliques entièrement opérationnel[4]. Quatre d’entre eux ont annoncé un taux de coussin supérieur à zéro concernant leurs expositions aux risques domestiques.

En dépit des progrès accomplis, la vigilance doit rester de mise. Cela est particulièrement important en ce qui concerne les interactions entre les politiques macroprudentielles et monétaire[5]. Le cycle financier et le cycle économique sont susceptibles de subir une désynchronisation, impliquant des déséquilibres financiers croissants dans un environnement caractérisé par une inflation relativement modérée. Dans ce contexte, recourir à la politique monétaire n’est pas une solution appropriée pour remédier aux déséquilibres et peut entraîner des écarts substantiels entre la production globale et l’inflation et leurs niveaux souhaitables. Cela est d’autant plus vrai dans une union monétaire dont la politique influence l’ensemble de la zone euro, alors que les déséquilibres financiers peuvent être nationaux. Lorsqu’elles visent des marchés ou des pays en particulier, les politiques macroprudentielles peuvent jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre ces déséquilibres.

De fait, le CERS a identifié l’an passé des vulnérabilités de moyen terme dans le secteur immobilier résidentiel de certains pays, soit précisément le type de situations auxquelles les politiques macroprudentielles permettent d’apporter des remèdes. En novembre 2016, il a rendu publiques des alertes spécifiques à huit États membres conformément à sa mission d’identification et de signalement des risques systémiques significatifs[6].

Au-delà du renforcement de la capacité de résistance du secteur bancaire, il importe également d’effacer les séquelles laissées par la crise. La résolution des actifs déjà dépréciés et une meilleure comptabilisation future des actifs dépréciés en sont deux aspects essentiels.

Malgré les progrès observés récemment, le niveau des prêts non performants (non-performing loans, NPL) figurant aux bilans des banques européennes demeure élevé[7]. Fin 2016, l’encours des NPL bruts du secteur bancaire de l’UE atteignait environ 1 000 milliards d’euros. Ce chiffre n’illustre néanmoins pas la place prépondérante qu’occupent les prêts garantis en Europe. Ainsi, compte tenu des garanties et du provisionnement, la couverture des NPL équivaut, en moyenne, à 82 % dans la zone euro. Cependant, la rentabilité des banques est altérée par les rendements inférieurs générés par les NPL étant donné le poids des expositions brutes dans le total des actifs : les NPL bruts représentent 4 % des actifs totaux des banques de la zone euro, contre seulement 0,8 % pour les banques américaines[8].

L’encours des NPL est le résultat de facteurs conjoncturels et structurels. En premier lieu, la grave récession provoquée par la crise financière mondiale a entraîné une détérioration de la qualité des portefeuilles de crédits des banques. L’expansion économique en cours devrait dès lors contribuer à améliorer la qualité des actifs des banques européennes. Dans le même temps, des faiblesses structurelles persistent, telles que des structures de gouvernance interne inadéquates au sein des banques, des procédures de recouvrement de dettes inefficaces et coûteuses dans certains États membres et des incitations inappropriées entravant la résolution rapide des NPL. En réponse, le CERS a proposé[9] une série de mesures s’ajoutant à celles qui sont déjà prises au niveau de l’UE et de la zone euro[10].

À court terme, les propositions du CERS ciblent le renforcement de la gestion des NPL par les banques, y compris l’évaluation prudente de ces derniers et la valorisation des garanties associées. Les responsables économiques pourraient faciliter ce processus en élaborant des projets s’adressant aux sociétés de gestion de portefeuille, complétés par des modèles de données harmonisées à travers l’UE.

Les mesures adoptées devraient également être concentrées sur les régimes d’insolvabilité, le recouvrement de dettes et les capacités de remboursement afin de favoriser l’amélioration des taux de recouvrement liés aux NPL. À plus long terme, il convient de poursuivre le développement des plates-formes de courtage des marchés secondaires. Par ailleurs, les banques doivent bénéficier des incitations adéquates, en particulier en ce qui concerne la comptabilisation des actifs dépréciés.

Le 1er janvier 2018, l’application de la nouvelle norme comptable sur la classification et l’évaluation des instruments financiers, baptisée IFRS 9[11], deviendra obligatoire au sein de l’UE. À la demande du Parlement européen, le CERS a récemment publié un rapport sur les implications de la norme IFRS 9[12] pour la stabilité financière. Ce rapport conclut que la nouvelle norme constitue un progrès majeur, surtout en matière de comptabilisation des NPL. Le remplacement de l’approche fondée sur les pertes encourues par une approche tenant compte des pertes de crédit attendues pour évaluer les provisions pour dépréciation constitue le principal changement apporté. Autrement dit, les banques devront désormais comptabiliser les dépréciations plus rapidement en réduisant les moratoires excessifs en ce qui concerne les NPL, contribuant ainsi à un redressement plus prompt et plus complet du secteur bancaire lors des futurs épisodes de ralentissement économique. Une récente évaluation d’incidence conduite par l’ABE sur un échantillon de 54 banques parmi vingt États membres suggère que l’introduction de l’IFRS 9 donnera lieu à une hausse des provisions de quelque 13 % en moyenne[13].

L’approche basée sur les pertes de crédit attendues signifie également pour les banques qu’elles devront répercuter immédiatement dans leur comptabilité toute nouvelle information prospective leur parvenant. Aussi les provisions pour dépréciation pourraient-elles brutalement augmenter en cas de dégradation des conditions économiques, pouvant s’accompagner de certains effets procycliques[14]. Le rapport du CERS envisage plusieurs politiques afin de combattre ces effets.

Par exemple, le recours à des tests de résistance pourrait constituer un moyen de mesurer les variations des provisions pour dépréciation associées aux scénarios adverses, dans le but de garantir une quantité suffisante de coussins de fonds propres et de permettre l’adoption de mesures correctrices le cas échéant. Si les banques peuvent résister à un scénario adverse hypothétique, elles seront probablement capables de réaliser, comme l’exige l’IFRS 9, une comptabilisation précoce des pertes de crédit attendues en cas de ralentissement avéré de l’activité.

Identifier et traiter les risques au-delà du secteur bancaire

Étant donné que les banques constituent la principale source de financement de l’économie européenne, la situation du système bancaire est au cœur de notre évaluation du risque systémique. Mais le système financier, pour sa part, est en constante évolution. Depuis 2008, les actifs du secteur financier non bancaire de la zone euro ont presque doublé et sont maintenant légèrement supérieurs à ceux du secteur bancaire[15]. D’après la trajectoire de croissance prévue par la Commission européenne dans son plan d’action pour la mise en place d’une union des marchés des capitaux (UMC), le secteur financier non bancaire devrait jouer un rôle grandissant dans le financement de l’économie[16]. Cette évolution offre de nouvelles perspectives puisque les entreprises disposeraient de nouvelles sources de financement et les investisseurs et les épargnants d’options supplémentaires.

Le glissement de l’intermédiation financière des banques vers les établissements non bancaires peut cependant entraîner une migration des risques existants et l’émergence de nouveaux risques. Il est par conséquent essentiel d’identifier ces risques et de mettre au point des outils en vue de les atténuer[17].

Prenons, par exemple, la question de l’interconnexion entre les différentes composantes du système financier. L’interconnexion, établie à travers des expositions directes ou, indirectement, via des portefeuilles d’actifs communs ou corrélés, constitue une caractéristique naturelle d’un système financier intégré. En période de tensions financières, toutefois, elle transmet, voire amplifie, les chocs, ce qui peut engendrer des effets de contagion. Une totale visibilité s’impose donc.

À cet égard, le deuxième rapport de surveillance du secteur bancaire parallèle de l’Union européenne (EU Shadow Banking Monitor), publié par le CERS au début de l’année[18], analyse un ensemble unique de données collectées par l’ABE. Celles-ci indiquent que les expositions des banques de l’UE sur les entités du système bancaire parallèle se montent à plus de mille milliards d’euros[19]. Axée sur une observation plus granulaire de ces expositions, l’analyse montre que 60 % d’entre elles portent sur des entités du système bancaire parallèle domiciliées hors de l’UE[20]. Ces résultats soulignent l’interconnexion mondiale et transfrontalière entre les systèmes bancaires et les systèmes bancaires parallèles ainsi que la nécessité d’une coopération internationale en matière de surveillance et de traitement des risques transsectoriels. Les mesures unilatérales et les tentatives nationales isolées sont vouées à l’échec.

S’agissant non plus de l’identification mais du traitement des risques pesant sur le système financier, nombre d’éléments doivent aller de pair : une réglementation et une supervision solides rendent les entreprises individuelles plus sûres ; les mécanismes de redressement et de résolution fournissent une sécurité juridique lorsque les entreprises rencontrent des difficultés et garantissent une résolution ordonnée des défaillances ; la politique macroprudentielle dépasse le cadre des établissements pris séparément et met au point des outils permettant de cibler les risques systémiques.

Un mécanisme de redressement et de résolution est particulièrement important pour les contreparties centrales (central counterparties, CCP), qui sont devenues des composantes essentielles du système financier. La législation progresse dans ce domaine et le CERS continue d’identifier des pistes d’amélioration en vue de mieux répondre aux considérations d’ordre macroprudentiel[21]. À titre d’exemple, une coopération et une coordination sont indispensables entre les autorités de résolution chargées des banques et des CCP dans la mesure où les difficultés éprouvées par une CCP sont généralement déclenchées par des tensions dans une ou plusieurs banques qui en sont membres compensateurs.

Il convient également de mettre en place un cadre de redressement et de résolution harmonisé pour le secteur des compagnies d’assurance à travers l’UE. Les procédures d’insolvabilité ordinaires ne sont pas toujours compatibles avec la protection des assurés et les objectifs de stabilité financière. Dans certains cas, elles peuvent s’avérer insuffisantes pour gérer de manière ordonnée la défaillance d’une grande société d’assurance ou la faillite simultanée de plusieurs assureurs. La Roumanie a, par exemple, élaboré un cadre général de redressement et de résolution à la suite des difficultés rencontrées par deux grandes compagnies d’assurance en 2014 et 2015. De tels cadres sont en cours de développement aux Pays-Bas et en France depuis la quasi-faillite de certains conglomérats financiers dans ces pays pendant la crise financière mondiale[22].

Afin de répondre aux risques systémiques, il est nécessaire de mettre des instruments macroprudentiels à la disposition des autorités publiques. Dans cette optique, le CERS a récemment fait remarquer qu’il était indispensable de créer une panoplie complète d’outils, qui ne se limite pas au secteur bancaire et qui fait défaut jusqu’à présent[23]. Bien entendu, des instruments spécifiques doivent encore être développés. Le CERS a effectué des travaux préliminaires en réfléchissant à la forme qu’ils pourraient prendre. L’utilisation macroprudentielle des marges et décotes, que j’ai évoquée devant le Parlement européen il y a quelques mois[24], [25], est un exemple.

Conclusion

Je voudrais à présent conclure mon propos.

De grands progrès ont été réalisés depuis l’éclatement de la crise financière mondiale. En Europe, en particulier, les banques ont renforcé leur capacité de résistance et l’union bancaire avance. En outre, les autorités disposent des mandats et des outils nécessaires pour lutter contre les risques qui pèsent sur le système bancaire et elles y ont recours. Ces améliorations ont permis de mettre en place un système financier qui présente moins de risques pour l’économie réelle.

Dans le même temps, des efforts restent à accomplir. Les autorités doivent veiller aux zones d’ombre, dans lesquelles les risques peuvent s’accumuler insidieusement, et utiliser les instruments à leur disposition. Les législateurs, quant à eux, doivent être conscients que les autorités ont besoin d’une large gamme d’outils pour être en mesure de faire face aux risques dépassant le système bancaire.

À l’issue de cette conférence et de retour dans vos institutions, j’espère que vous serez encore plus déterminés à relever les défis qui se posent au secteur bancaire, et au-delà, et qui font l’objet ici d’un échange de vues. J’ai, à présent, le plaisir de déclarer ouverte la deuxième conférence annuelle du Comité européen du risque systémique.

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