Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
La Bourse de Paris entame la semaine sur un gain de +1% vers 4 550 points après un pont de 4 jours, apparemment rassurée par la confirmation d’un gel total de 4 semaines supplémentaires et d’aucun retour “à la normale” avant le milieu de l’été, ce qui signifie que la France sera le dernier pays d’Europe à redémarrer… ou qu’à l’image d’une rue commerçante mondiale, elle sera la dernière boutique à lever son rideau de fer, quand la clientèle aura fini de faire ses courses chez ses voisins !
Alors bien sûr, vous arguerez que le CAC40 a accumulé du retard sur Wall Street depuis 3 semaines, de l’ordre de 15%, ce qui n’est pas rien.
Mais à ce propos, maintenant que les 3 principaux indices américains ont repris 50% du terrain perdu depuis mi-mars, qui faut-il croire entre JP Morgan prétendant « qu’il faut acheter les prochains creux « , ou Morgan Stanley (NYSE:MS) qui prédit que « les plus hauts absolus du “S&P” seront revisités en 2021 » ?
Ou encore Neel Kashkari, le patron de la Federal Reserve Bank de Minneapolis, qui déclarait sur CBS (NYSE:CBS_old) dimanche matin “qu’à moins d’un miracle en matière de santé publique, la stratégie de déconfinement progressive pourrait s’étendre sur 18 mois”.
Et 18 mois (6 trimestres) d’activité réduite, à géométrie variable, c’est une éternité et une abîme d’incertitudes du point de vue d’un investisseur.
Neel Kashkari ajoutait “Nous pourrions connaître une succession de vagues de reprise, puis de retour des contrôles sanitaires, jusqu’à ce que nous disposions d’une thérapie ou d’un vaccin”.
Mais porté par la logique des flux (de liquidités), Wall Street se remet à parier sur un rebond rapide pour l’économie américaine, malgré plus de 16 millions d’emplois perdus au cours des trois dernières semaines, une explosion des demandes de reports d’hypothèques et de paiement des loyers, une Europe et une Chine à 50% de leur capacité.
Le retour des zombies
La FED peut imprimer des milliers de milliards de dollars, saturer son bilan de dettes pour soutenir Mainstreet, elle ne peut pas imprimer de protocoles thérapeutiques, ni d’unités de réanimation, ni décréter un dé-confinement, ni remplir des millions de caddies pour relancer la consommation.
Mais il existe encore des stratèges pour estimer que le réel ne compte pas tant que les banques centrales gardent la maîtrise du prix des actifs financiers: la Bank of Japan devient la référence ultime puisqu’elle monétise intégralement la dette (elle détermine la valeur des produits obligataires) et détient l’essentiel des actions cotées au travers des ETF.
La FED achète désormais tous les types de dettes, y compris la catégorie “junk” en précisant bien que plus aucune entreprise ne fera faillite dans un avenir prévisible.
Le risque ayant désormais totalement disparu des radars, il n’en fallait pas davantage pour que s’enclenche une hausse de 12,1 à 12,7% -record historique- pour le S&P500 et le Dow Jones à l’issue de la semaine du 6 au 10 avril, de 18,5% pour les valeurs du Russell2000.
Mais ne pas faire faillite ne signifie pas pour autant être en mesure de rémunérer l’actionnaire, de générer des flux financiers récurrents (les dividendes) : que vaut une entreprise zombifiée, un astre mort, ou pire, un trou noir aspirant éternellement des liquidités et ne les laissant jamais en ressortir ?
Que valent des entreprises dont la hausse des dividendes ne reposait que sur des opérations de rachats de titres à crédit (“buybacks“) dont l’usage va être fortement restreint (cela concerne plus de la moitié des entreprises du S&P500) ou carrément interdit aux entreprises bénéficiant de lignes de crédit garanties par l’Etat ?
Qui voudra détenir un portefeuille d’actions n’offrant aucune visibilité à 9, 18 ou 24 mois ?
Comment justifier de payer ce portefeuille au même prix que début juin 2019 (2 790 pour le “S&P”, 24 000 pour le Dow Jones, 8 200 pour le Nasdaq), lorsque nous étions à 4% de croissance mondiale (la moitié en 2020, dans le meilleur des cas, et sans aucune visibilité sur les profits) ?
On risque symétriquement d’observer une ultra-concentration des achats sur des valeurs déjà hyper-survalorisées.
L’exemple d’Amazon (NASDAQ:AMZN) saute aux yeux: à plus de 2 168$, le titre n’est plus qu’à 1% de son record historique et s’impose déjà comme le grand gagnant du confinement généralisé.
Le Covid-19 se fait l’allié objectif des zombies (assurés de ne pas faire faillite), des kamikazes (compagnies aériennes ayant brûlé toute la trésorerie en buybacks) et des évadés fiscaux vendant leurs produits et services partout et ne payant d’impôts sur les bénéfices et de TVA nulle part.
Nous avons pulvérisé les frontières de l’aléa moral (“too big to fail”) pour s’enfoncer dans “l’immoral”, la FED faisant le jeu des tocards et des escrocs (garantis 100% paradis fiscaux).
Le mouvement de reprise qui se dessine sous nos yeux se résume assez bien par l’adage : “l’argent n’a pas d’odeur”… sinon un vague arrière-goût de moisi… comme les perspectives bénéficiaires des entreprises pour 2020 et 2021 ?