Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Face au nouveau relèvement des taux auquel la FED vient de procéder, les devises des marchés émergents vont-elles atteindre un plus bas ?
La politique de relèvement des taux et de réduction du bilan que mène la FED depuis décembre 2015 a revigoré le dollar américain, ce qui va généralement de pair avec un affaiblissement des devises émergentes. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé dernièrement.
Je suis cependant convaincu que la déroute enregistrée par les devises des pays émergents devrait opérer un brutal retournement technique. Après des décennies consacrées à l’étude des marchés actions et des marchés des changes, je suis étonné que la plupart des analystes ne cernent toujours pas la différence fondamentale qui existe entre les deux. Sur les marchés actions, les mouvements sont toujours absolus et peuvent être, ou non, relatifs. Sur les marchés des changes en revanche, les mouvements ne sont jamais absolus et toujours relatifs.
Plus précisément, les actions augmentent ou baissent sur une base absolue de manière individuelle, c’est-à-dire qu’elles peuvent ou non évoluer à hausse ou à la baisse de façon synchronisée avec le marché dans son ensemble. Pour les devises, c’est différent. Lorsque les analystes disent que le dollar « monte » ou qu’il « baisse », cela suppose que le cours du billet vert varie par rapport à une autre devise. Toujours.
En d’autres termes, une devise n’a pas de « cours » absolu : sa valeur est toujours indiquée sur des cours croisés, donc comparée à d’autres devises ou à un indice de devises.
Concrètement, cela signifie qu’une devise ne peut pas « augmenter » sans qu’une autre « baisse ». Il s’agit d’un jeu à somme nulle qui peut parfois se traduire par de fortes ascensions, des plongeons effrayants ou des virages abrupts avant, in fine, un retour au point de départ.
▶ Les guerres des devises : un jeu à somme nulle
Au cours de ces 20 dernières années, la paire euro-dollar a grimpé jusqu’à 1,60$ et chuté jusqu’à 0,80$. Elle oscille actuellement autour des 1,16$, soit au milieu de la fourchette au sein de laquelle elle évolue depuis 20 ans.
La paire EURUSD n’a pas évolué en ligne droite de 80 cents à 1,60$ avant de baisser à nouveau : ces 20 dernières années, elle a enregistré 10 retournements d’environ 20% chacun.
Aujourd’hui, l’euro est pile sur les 1,16$, c’est-à-dire sa valeur initiale lors de sa création sous forme scripturale en 1999.
Concernant les devises des Etats émergents, il existe énormément de raisons d’être baissier au vu de leurs économies et des perspectives à long terme de leurs devises. Pourtant, le plongeon récent des cours croisés de ces monnaies face au dollar a été entièrement motivé par la conjonction du resserrement de la FED, des différentiels de taux d’intérêt et de la solvabilité perçue.
Or, la Réserve fédérale devra bientôt faire marche arrière, probablement lors de sa réunion de septembre. Cela ne signifie pas qu’elle abaissera à nouveau ses taux, mais simplement qu’elle marquera une pause sur la voie de leur relèvement.
Il se trouve que c’est exactement ce que la FED a fait en 2017 : des relèvements des taux en mars, en juin et en décembre, mais une pause en septembre. Celle-ci conduira à une forme d’assouplissement par rapport aux attentes et cet assouplissement affaiblira le dollar. Or, lorsque le dollar baisse, les devises des EM se renforcent. C’est, une fois de plus, le jeu à somme nulle des taux de change croisés.
▶ Le dollar devrait chuter quand la FED décidera de temporiser
« Les devises des marchés émergents baissent et la couverture médiatique crée une impression de fin du monde. Lors du krach de 2015/2016, cet ETF large axé sur les devises des marchés émergents a chuté de plus de 20%. Le repli récent représente un peu plus de 5%, soit grosso modo l’équivalent de la baisse de l’euro. Un tel sentiment négatif envers un mouvement relativement modeste pourrait constituer une bonne opportunité pour un contrarien », assure Marcelo Perez, chef des opérations chez Alhambra Investment Partners LLC.
En attendant, la livre turque, la roupie indienne et le real brésilien ont été très chahutées dernièrement… Mais ce sont précisément ces effondrements de cours croisés qui rendent aujourd’hui ces devises attrayantes !
Je pourrais fournir de nombreux autres exemples, mais vous avez compris : d’une manière générale, les monnaies des Etats émergents sont en chute libre face au dollar depuis le début de l’année.
Le billet vert devrait néanmoins chuter à l’automne ou à l’approche de la réunion de la FED de septembre, lorsque les investisseurs prendront conscience que la Fed doit marquer une pause dans ses relèvements des taux.
Lorsque le dollar chutera, les devises des EM opèreront un rally inverse. C’est aussi simple que cela.
Quant à ma politique monétaire actuelle américaine, elle est totalement sans précédent. En effet, la FED ne resserre pas en raison d’une vigueur économique : elle resserre parce qu’elle a besoin de relever les taux et de réduire son bilan afin de se préparer à la prochaine récession.