par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - La mère d'un jeune djihadiste présumé mort en Syrie en août 2016, Belabbas Bounaga, a été condamnée jeudi à deux ans de prison pour "financement du terrorisme", dans un procès qui pourrait faire jurisprudence.
Me Hervé Denis, l'avocat de Nathalie Haddadi, 42 ans, attachée commerciale dans une entreprise d'Alsace, a jugé cette décision "indigne" et annoncé qu'il faisait immédiatement appel.
"Deux ans fermes sur la base d'un dossier complètement farfelu et jugé dans des conditions complètement indignes (...), c'est absolument scandaleux", a-t-il dit à la presse. "Ce n'est pas de la dureté, c'est de la méchanceté."
Le ministère public avait requis le 5 septembre 18 mois de prison ferme à l'encontre de cette mère de trois enfants sans signe visible la rattachant à la religion musulmane.
La présidente du tribunal lui a reproché d'avoir aidé en toute connaissance de cause son fils à violer une interdiction de quitter le territoire et à rejoindre en Syrie l'organisation de l'Etat islamique, en lui payant des billets d'avion et en lui envoyant de l'argent, et d'avoir "constamment menti" à ce sujet.
"Sans cette aide substantielle, il n'aurait pas pu aller aussi facilement en Syrie et y combattre avec l'Etat islamique", a-t-elle dit. "Vous avez financé une organisation terroriste."
La peine prononcée est cependant assortie de la possibilité de l'aménager, ce qui signifie que Nathalie Haddadi n'effectuera pas nécessairement toute sa peine derrière les barreaux.
La mère de Bellabas Bounaba a réaffirmé à l'issue de l'audience n'avoir aucune sympathie pour l'islam radical.
"Je condamne fermement le terrorisme", a-t-elle dit à la presse. "Financer une idéologie que moi-même je combats, que moi-même je ne cautionne pas? C'est un procès d'une mère qui a aidé son fils. J'ai cru en lui, j'ai continué à croire en lui."
Son fils cadet, Tarik, et le meilleur ami de son aîné, Souliman Hamouten, étaient aussi jugés pour avoir envoyé de l'argent à Belabbas Bounaga.
Le premier a été condamné à un an de prison avec sursis. Le second, resté en contact avec Belabbas Bounaga quand il était en Syrie, selon l'accusation, a écopé de la peine de prison la plus sévère : trois ans avec incarcération immédiate.
JURISPRUDENCE
L'avocat de Souliman Hamouten a également immédiatement annoncé qu'il faisait appel.
Le tribunal a par ailleurs condamné par défaut Bellagas Bounaga, présumé mort à 21 ans, à dix ans de prison, peine assortie d'un mandat d'arrêt.
Le ministère public estime qu'il y a un doute sur sa mort ou que ses papiers peuvent être utilisés par un autre djihadiste.
Les avocats de Nathalie Haddadi, Tarik Bounaga et Souliman Hamouten avaient plaidé la relaxe pour leur client en faisant valoir qu'ils avaient envoyé de l'argent à Belabbas avant son arrivée en Syrie et que le parquet n'avait pas prouvé qu'ils connaissaient ses intentions.
Belabbas Bounaga, délinquant condamné plusieurs fois, notamment pour trafic de drogue, s'est radicalisé en prison en 2014 et 2015, avant d'être envoyé par sa mère en Algérie chez son père dans l'espoir de le ramener dans le droit chemin.
Il est resté six mois en Algérie, où sa mère lui a fait parvenir 1.000 euros. Puis il est parti en Malaisie, où elle lui a envoyé des mandats pour un total de 2.800 euros en avril 2016, notamment après une hospitalisation de son fils sur place.
Quelques mois plus tard, il était en Syrie. Mais Nathalie Haddadi jure qu'elle ignorait tout de ses projets. "J'ai donné de l'argent à mon fils pour qu'il mange, qu'il se soigne", avait-elle confié à France 3 avant le procès.
En août 2016, elle a finalement reçu un appel de Syrie lui annonçant la mort de Belabbas "en martyr".
Pour les avocats des prévenus, ce procès risque d'en appeler de nombreux autres.
"Ce n'est plus le seul combat de Mme Haddadi mais celui de tous les parents d'enfants radicalisés en prison ou hors de prison, menacés de poursuite par le parquet qui les jugent responsables de cette situation", a dit à Reuters Me Denis.
Il avait déclaré auparavant à la presse que "2.000 parents (étaient) concernés par la situation de Mme Haddadi" : "Il ne faut pas que ça fasse jurisprudence."
(Edité par Sophie Louet)