Chauffeur de taxi parisien, Mohamed Afallah exerce un métier qui met sa patience à rude épreuve. Le ramadan est l'occasion pour ce jeune musulman de faire son "jihad", un "travail sur soi" pour, dit-il, "essayer d'être meilleur".
"J'ai tendance à m'énerver dans la circulation. Tenter de contrôler mes émotions, c'est un jihad" (effort en arabe), confie dans un sourire cet homme de 27 ans. Il ajoute que contrairement à ce que l'on peut entendre ou croire, le mot jihad n'"est pas perçu comme péjoratif chez les musulmans".
Le jeûne du ramadan, quatrième pilier de l'islam, est une épreuve pour les travailleurs, en particulier quand leur tâche est physiquement éprouvante.
Mais "tout effort est récompensé par Dieu (...). Pendant le ramadan, la récompense est encore plus importante", affirme Mohamed, qui a décalé ses horaires pour l'occasion: il finira son service à 21h pour la rupture du jeûne au lieu d'1h du matin habituellement.
Comme lui, de nombreux musulmans assument depuis le 18 juin des journées de près de 18 heures sans manger ni boire.
"En temps normal, je bois deux à trois litres d'eau par jour pendant l'hiver et jusqu'à quatre litres l'été", confie pour sa part Abdel Tanziti, boulanger-pâtissier de 40 ans à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Le plus difficile à supporter? La chaleur du four. L'homme, gaillard, n'a rien changé à ses horaires - 6h-12h, 16h-19h - ni à ses tâches: il monte et descend les escaliers qui relient le fournil à la boutique une vingtaine de fois par jour, porte des sacs de farine de 25 kg...
Abdel ne se plaint pas de la longueur des journées. "C'est une question d'habitude. Je fais le ramadan depuis mes 9 ans", explique-t-il. Le boulanger réserve néanmoins la plus grosse partie de son travail au matin, pour effectuer des tâches plus "légères" l'après-midi, comme de la décoration de gâteaux.
- Absence de jeûne compensée -
C'est également ainsi que Kamel Boughmada, électricien de 42 ans, organise son travail. "Quand on jeûne, on ne peut pas être à 100% toute la journée, donc je fais les tâches les plus lourdes le matin quand il me reste encore quelques calories", plaisante-t-il.
Kamel n'a jamais cessé le ramadan pour le travail, ni le travail pour le ramadan. "On a des familles, des loyers à payer, donc on est obligés de travailler", s'exclame-t-il. "Les clients s'en fichent, ramadan ou pas ramadan, ils nous donnent un chantier, il faut qu'on le finisse dans les délais". L'électricien estime que cela participe de la "bonne réputation" de son entreprise.
C'est "le café du matin" qui lui manque le plus. "La première semaine c'est dur", avoue Kamel, qui mange plus tard, prie jusqu'à une heure du matin dans le cadre des "tarawih", ces prières surérogatoires (facultatives) qui se déroulent tous les soirs ou nuits de ramadan. Il dort quatre, cinq heures par nuit... et se dit "heureux".
"Dans notre religion, c'est bien de travailler pendant le ramadan. Si on passe la journée à dormir, on ne sent pas le ramadan", juge l'électricien.
Rachida Assad, employée de restauration, ne jeûne plus, elle, en raison de son diabète. Sa mosquée lui prescrit de donner cinq euros par jour à une personne "plus pauvre" pour compenser le jeûne qu'elle ne peut effectuer: c'est la "fidya". Si les malades, comme les vieillards, les voyageurs, les femmes enceintes ou venant d'accoucher sont dispensés de jeûne, celui-ci doit être différé ou compensé, selon la tradition.
Aucun aménagement n'est en revanche prévu par le code du travail pour le salarié qui fait le ramadan, rappelle Sylvain Niel, avocat conseil en droit social.
L'employeur est toutefois tenu à ce qu'on appelle une "obligation de sécurité de résultat". Selon Me Niel, s'il constate que l'état physique et/ou psychologique de l'employé ne lui permet pas de poursuivre son travail normalement, l'employeur doit prévenir le médecin du travail". Lequel peut établir un certificat d'inaptitude. Ramadan ou pas.