par Sophie Louet et Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Bousculés par l'omniprésence d'Emmanuel Macron, les soutiens de François Hollande sonnent l'alerte pour tenter de marginaliser le ministre de l'Economie, qui se pose insensiblement comme une alternative à gauche, et "recréer de l'adhésion" autour d'un président impopulaire à un an de l'élection présidentielle.
La scène est anecdotique mais témoigne de l'irritation grandissante qui gagne l'exécutif face à l'émancipation exponentielle du "Tony Blair" français dépeint par les médias anglo-saxons, une comparaison qu'il ne récuse pas.
En visite jeudi dans une entreprise d'Eure-et-Loir, François Hollande s'est agacé que son ministre de l'Economie préfère discuter avec les responsables et les salariés plutôt que cheminer à ses côtés, en lançant à plusieurs reprises : "Emmanuel n'est pas là ?"
Emmanuel Macron est partout : vendredi dans les quotidiens régionaux de l'Est où il affirme ne pas être l'"obligé" de François Hollande, à la Une de Paris Match avec son épouse, sur le plateau de la BBC, dans la revue de l'assurance "Risques", où il marque ses réserves sur l'impôt de solidarité de la fortune (ISF), ou dans le quotidien belge Le Soir où il explique que son mouvement "En Marche!" vise "à nourrir un projet présidentiel".
"Je ne fais pas cela pour plaire mais parce que je pense que c’est important et, j’espère, utile. Mon pays a besoin qu’on prenne plus de risques et qu’on agisse vite", justifie-t-il.
Selon le baromètre Viavoice pour Libération paru jeudi, 38% des Français (soit 8% de plus que le mois dernier) estiment qu'Emmanuel Macron ferait un bon chef de l’Etat contre 28% pour Manuel Valls (+4), et 11% (+1) pour François Hollande, dont plusieurs enquêtes prédisent par ailleurs l'élimination dès le premier tour de la présidentielle de 2017.
"JOUER COLLECTIF"
A chacune des questions sur ses ambitions élyséennes, le ministre de l'Economie élude en soulignant que "la question de la personne" se posera à l'ultime fin, après le "diagnostic" et le "plan d'action" auxquels "En Marche!", mouvement transpartisan lancé le 6 avril, est censé contribuer.
Dans cette amorce d'inventaire du quinquennat Hollande, l'ancien banquier de 38 ans continue de faire valoir sa "loyauté" et son "attachement" au chef de l'Etat - qui laisse faire, avec vigilance - jusqu'à parier sur sa réélection en 2017 s'il "prend des décisions très courageuses".
Le paradoxe énerve chez les proches du président qui y voient plus le reflet d'un "double jeu" qu'une évolution "un peu iconoclaste" pour reprendre un terme de Jean-Yves Le Drian.
Jusqu'ici coi sur le "phénomène" Macron, le ministre de la Défense, fidèle "hollandais", a mis en garde jeudi son collègue.
"La vie politique, en particulier lorsqu'on est membre d'un gouvernement, c'est un peu comme au football (...) : il faut jouer collectif sinon on ne gagne pas", a-t-il dit sur France Info.
Les "hollandais" n'ont de cesse de vanter le "collectif" alors que l'hypothèse d'une primaire à gauche devient pure spéculation. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, lancera lundi le mouvement "Hé oh, la gauche", destiné à défendre le bilan de François Hollande.
La démarche d'Emmanuel Macron, juge le porte-parole du gouvernement dans Le Monde, "lui est propre". "Nous, par opposition, créons une démarche collective. Nous, nous défendrons ce que nous avons fait".
JUSQU'À LA RUPTURE?
"Je crois Emmanuel Macron honnête dans sa démarche", analyse le député socialiste Christophe Caresche.
"Du fait de sa relation avec le président, c’est compliqué. Mais je pense qu’il privilégiera sa cohérence personnelle. Ça veut dire que s’il faut être candidat à l’élection présidentielle pour défendre des idées et pouvoir agir, il le fera", dit-il à Reuters.
"Macron a bien compris que la candidature de François Hollande n’était plus naturelle. Donc c’est aussi pour ça qu’il se met en marche", ajoute-t-il.
Un autre député socialiste souligne les risques de ces velléités sécessionnistes à un moment où la gauche cherche à "relever la tête", comme l'en presse le Premier ministre Manuel Valls, première victime collatérale de "L'offensive Macron", titre du Monde jeudi.
"Si vous avez le surdoué qui fait ce qu'il veut dans la classe, c'est le bazar", prévient l'élu.
Emmanuel Macron ira-t-il jusqu'à la rupture, et en a-t-il les moyens?
Selon Le Monde, le ministre a enrôlé l’entreprise de stratégie électorale Liegey Muller Pons (LMP), qui avait collaboré avec François Hollande lors de sa campagne victorieuse de 2012. En parallèle, "En Marche!" s'emploie à recruter les 3.000 à 4.000 volontaires nécessaires au "porte-à-porte" qu'il ambitionne de mener à bien d'ici la fin de l'été pour dresser un bilan du pays.
"Il faut parfois se frotter au suffrage universel, c'est utile de conquérir ainsi de l'expérience", a lâché mardi soir le ministre des Finances Michel Sapin, autre proche de François Hollande, devant des étudiants de Sciences-Po.
Ce à quoi l'intéressé répond : "Faire de la politique, ce n'est pas une profession réglementée".
(Avec Elizabeth Pineau, Myriam Rivet, Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)