PARIS (Reuters) - Les syndicats hostiles au projet de loi Travail ont obtenu mercredi le droit de manifester jeudi à Paris en vertu d'un compromis trouvé avec le gouvernement, qui avait dans un premier temps choisi d'interdire tout défilé dans la capitale.
Le communiqué de la préfecture de police annonçant cette interdiction, décidée pour des raisons de sécurité, a déclenché dans la matinée une poussée de fièvre chez les syndicats et au sein même de la gauche, où l'on a dénoncé un coup de force.
Aussitôt, les patrons de la CGT et de Force ouvrière (FO), Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly, ont demandé une audience au ministère de l'Intérieur et ces ultimes tractations avec Bernard Cazeneuve ont permis d'aboutir à un accord.
Les syndicats pourront donc défiler, mais seulement sur une boucle d'un peu plus de 1,5 km dont les points de départ et d'arrivée se trouvent place de la Bastille, et non le long d'un parcours Bastille-Nation comme ils le prévoyaient.
"(Ils) appellent les salariés, jeunes, privés d'emploi et retraités à participer massivement aux manifestations des 23 et 28 juin", a déclaré Philippe Martinez lors d'une conférence de presse conjointe des sept organisations opposées au projet de réforme du Code du travail.
"Le gouvernement avait franchi un nouveau cap dans sa volonté de bâillonner le mouvement social en interdisant la manifestation parisienne", a dit le secrétaire général de la CGT, qui en a appelé à François Hollande.
"Le président Hollande n'a d'autre issue, pour sortir de cette impasse, que de réunir les organisations syndicales et de jeunesse très rapidement", a-t-il affirmé.
CAZENEUVE À L'ORIGINE DE L'INTERDICTION
Philippe Martinez a promis que "le service d'ordre sera(it) renforcé" jeudi.
Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a annoncé la mise en place d'un "dispositif de pré-filtrage" permettant de fouiller les sacs des manifestants pour s'assurer qu'ils ne contiennent pas de projectiles ou de cagoules.
Il a précisé lors d'un point de presse que "plus de 2.000 fonctionnaires" seraient mobilisés durant le rassemblement : forces mobiles, forces de sécurité intérieure et brigade fluviale.
Obéissant aux consignes de l'exécutif, la préfecture de police avait invoqué la crainte de nouveaux débordements et l'état de fatigue des policiers pour justifier l'interdiction du cortège parisien.
Des violences ont régulièrement éclaté en marge des cortèges dans la capitale et les grandes villes de province depuis le début du mouvement anti-loi Travail, en mars, donnant lieu à plusieurs centaines d'interpellations.
"Les dégradations et violences à agents de la force publique commises lors du dernier mouvement en date du 14 juin ont atteint un pic de violence inégalé", pouvait-on lire dans le communiqué de la préfecture.
Les services du préfet expliquaient alors ne pas avoir pas "d'autre choix" que l'interdiction, les syndicats ayant "catégoriquement" refusé la proposition qui leur était faite de se rassembler sur la place de la Nation, sans défiler.
En milieu de journée, Bernard Cazeneuve a admis avoir été à l'origine de l'interdiction, qu'il a "demandée personnellement au préfet de police".
Cette décision aurait été une première depuis 1962.
"NOUS POURSUIVRONS CE TEXTE"
Le député Christian Paul, l'un des chefs de file des "frondeurs" socialistes, avait dénoncé une "faute historique" et jugé que le chef du gouvernement, Manuel Valls, prenait là une "lourde responsabilité".
"On sent bien qu'il y a depuis huit jours de la part du Premier ministre une volonté de durcissement. Et c'est d'autant plus paradoxal qu'on est à un moment où un compromis pourrait être trouvé sur la loi Travail", avait-il dit sur BFM TV.
A droite, de nombreux responsables avaient réclamé ces derniers jours une telle interdiction mais Nicolas Sarkozy, président des Républicains, a pris mardi le contre-pied en estimant que cette mesure ne serait "pas raisonnable".
L'attitude du gouvernement a changé après la dernière grande journée de mobilisation, le 14 juin, au cours de laquelle une poignée de manifestants s'en était pris à une façade vitrée de l'hôpital pour enfants Necker, dans le sud de Paris.
Le lendemain, Manuel Valls a exhorté les syndicats à ne plus organiser ce type de manifestations, faute de quoi le gouvernement prendrait ses "responsabilités".
Le front syndical avait malgré tout maintenu deux nouvelles journées d'action contre le projet de loi défendu par Myriam El Khomri, qui doit revenir courant juillet à l'Assemblée nationale après son passage au Sénat.
En dépit de ses hésitations au sujet de la manifestation de jeudi, l'exécutif n'entend pas abandonner son projet, a redit Manuel Valls.
"Nous poursuivrons ce texte (...) et nous le ferons adopter parce qu'il en va de l'intérêt du pays", a assuré le chef du gouvernement lors d'une séance de questions à l'Assemblée.
(Simon Carraud avec Emmanuel Jarry, Gérard Bon, Sophie Louet, Emile Picy et Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)