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Porto Rico, une faillite américaine dans les Caraïbes

Publié le 07/06/2017 07:58
Mis à jour le 07/06/2017 10:46
Les drapeaux de Puerto Rico et des États-Unis, flottent côte à côte le 8 mai 2017 à San Juan, Porto Rico, territoire américain, qui croule sous une montagne de dettes (Photo Mark RALSTON. AFP)

Les drapeaux de Puerto Rico et des États-Unis, flottent côte à côte le 8 mai 2017 à San Juan, Porto Rico, territoire américain, qui croule sous une montagne de dettes (Photo Mark RALSTON. AFP)

"Cette dette est illégale", "dictature coloniale" chantent en espagnol les étudiants de l'université de Porto Rico sur l'avenue qu'ils viennent de bloquer. Derrière les rythmes afro-caribéens perce l'indignation face à la faillite de leur île, une "Grèce des Caraïbes" soumise aux consignes de Washington pour se relever.

"Ils viennent couper dans le secteur public pour donner les fonds aux grands créanciers et payer une dette dont on ne sait même pas si elle est légitime", dénonce Mariana del Alba.

Dans la chaleur déjà lourde du petit matin, l'étudiante en droit de 27 ans désigne le bâtiment où se trouve réunie la commission chargée par Washington de superviser le redressement des finances de Porto Rico, territoire américain croulant sous 74 milliards de dollars de dette.

Une main-mise insupportable aux yeux de nombreux Portoricains, qui portent fièrement leur identité culturelle, dans la langue, la gastronomie, la musique et jusque dans leurs tatouages.

Comme en Grèce, où l'arrivée de "la troïka" avait révulsé une grande partie de la population, emprunts à tout va et accusations de corruption ont longtemps cohabité sous les palmiers de Porto Rico. Jusqu'à l'explosion. Mais à la différence du pays méditerranéen, Porto Rico n'est pas indépendante.

Ancienne colonie espagnole devenue territoire américain à la fin du XIXe siècle, l’île de 3,5 millions d'habitants dispose de son propre gouvernement, sous un statut d'Etat libre associé aux Etats-Unis. Dimanche, les habitants sont appelés à se prononcer sur cette relation, dans un référendum non-contraignant.

- 'Coupes à l'aveugle' -

Citoyens américains et fans de baseball, les Portoricains ne peuvent toutefois pas voter aux présidentielles américaines.

Baignée par des eaux turquoises, leur île, où l'espagnol domine largement, semble très loin de Washington. Mais le lien économique est étroit. Et c'est dans cette relation privilégiée avec les Etats-Unis que se trouve l'origine de la crise.

Destination dorée de la jet set, Porto Rico a longtemps joui d'exonérations fiscales fédérales qui ont poussé les grandes entreprises américaines à s'y installer en nombre pendant des décennies... jusqu'au retrait de ces avantages en 2006.

Alors même qu'elle s'enfonçait dans la récession, c'est sur le marché américain des obligations municipales que l'île a pu continuer à s'endetter, alléchant les investisseurs avec ses titres exonérés d'impôts.

Finalement incapable de rembourser ses créanciers, l'île a déclaré début mai le plus gros processus de faillite jamais lancé par une entité locale aux Etats-Unis.

Petit Poucet économique face au mastodonte américain, la banqueroute de Porto Rico ne fait toutefois pas - pour l'instant - trembler Washington. Mais sur l'île, la crise frappe déjà durement.

Chaises et bureaux cadenassés à ses grilles bloquent l'entrée de l'université publique de Porto Rico. Dominé par une majestueuse tour des années 1930, cet établissement, fierté des Porto-ricains, est paralysé depuis fin mars par des étudiants qui protestent contre les profondes réductions menaçant son budget. Des coupes "à l'aveugle", juge Mariana del Alba, l'une des voix du mouvement.

Sous le coup de la hausse du chômage et de la récession, près d'un habitant sur dix ont déjà quitté l'île ces dix dernières années. Une saignée qui a bouleversé la carte d'implantation des Portoricains, désormais plus nombreux aux Etats-Unis qu'à Porto Rico.

- 'Etat de choc' -

Installé seulement depuis janvier derrière les murs centenaires de la Fortaleza, siège de l'exécutif porto-ricain, le jeune gouverneur Ricardo Rossello a reconnu que son sévère plan budgétaire portant sur dix ans impliquait de "grands sacrifices".

Touchant notamment aux retraites et à la protection sociale, ce plan, accepté en mars par la commission, n'a pas suffi à convaincre les créanciers d'abaisser le montant des remboursements jusqu'à "un niveau soutenable", a-t-il déploré en déclarant la faillite.

C'est maintenant à la justice américaine de trancher sur cet épineux dossier.

Face au marasme financier, les deux principaux partis qui se relaient au pouvoir depuis plus de 60 ans se rejettent la responsabilité.

Le gouvernement de Ricardo Rossello "a dû faire en deux mois ce que la précédente administration n'a pas fait", assure Christian Sobrino, son principal conseiller économique et directeur de la Banque publique de développement.

Optimiste, le gouvernement s'attend à pouvoir stabiliser la situation économique d'ici quatre ans. Des alliances avec le secteur privé permettront de continuer à investir malgré la faillite, notamment dans le tourisme, encore peu développé par rapport aux îles voisines, explique Christian Sobrino.

Mais la relance apparaît d'autant plus difficile qu'aux coupes annoncées à San Juan s'ajoutent celles prévues par Donald Trump, avec des réductions drastiques dans les programmes d'aide à l'alimentation et une réforme de l'assurance maladie, essentiels pour l'île frappée par la pauvreté.

Et le président américain s'est à plusieurs reprises prononcé contre un renflouement public de Porto Rico.

"La population est en état de choc", analyse Gerson Guzman, président du syndicat UGT. Les réductions envisagées dans la santé pourraient "provoquer l'effondrement du système" public, parade essentielle contre des fléaux comme le virus du Zika.

Devant le plus grand hôpital public de Porto Rico, où patients et proches se protègent tant bien que mal de la chaleur pendant qu'ils attendent leur tour aux urgences, Ada Quinones, technicienne de pharmacie de 44 ans, explique que son salaire est gelé depuis quatre ans.

Ses deux filles songent à partir aux Etats-Unis mais pas elle, qui travaille ici depuis 23 ans. "Nous sommes déjà installés. Mais à nos enfants, à nos petits-enfants... qu'allons nous laisser?"

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