Revenus en berne, aléas climatiques, isolement: face à leurs difficultés croissantes, la Sécurité sociale agricole de Bourgogne incite les exploitants à briser le silence et à accepter de l'aide, dans un film de témoignages baptisé "Oser".
En France, depuis 2015, "30% des agriculteurs gagnent moins de 4.800 euros sur l'année", soit moins de 400 euros par mois, rappelle Dominique Bossong, président de la MSA (Mutualité sociale agricole) Bourgogne, en marge d'une projection à Mâcon.
Les cours des marchandises sont "au plus bas", "les charges continuent d'augmenter" et les aléas climatiques - gel, grêle, sécheresse - frappent les exploitations "depuis plusieurs années", poursuit le responsable.
Cette précarité financière a été abordée aux États généraux de l'alimentation, qui s'achèvent la semaine prochaine. Mais les agriculteurs ont parfois "l'impression de ne plus peser dans la société", déplore Didier Caverot, un des témoins du court-métrage qui depuis le mois de mai a été montré une vingtaine de fois, dans toute la région, à des professionnels du secteur.
"Aujourd'hui, on va plus causer - ce qui est légitime - du bien-être animal, de la pollution (liée à l'exploitation agricole), de toutes ces choses-là. Mais du bien-être des paysans… j'en entends pas beaucoup parler."
A 56 ans, cet éleveur de bovins Charolais et cultivateur installé à Senailly (Côte-d'Or) est un homme solidement bâti: la carrure et le mental d'un rugbyman, un sport qu'il a longtemps pratiqué. Sur 300 hectares, son exploitation tourne bien. Les 70 vaches allaitantes et leurs veaux sont nourris à l'herbe l'été et l'hiver au foin produit sur place.
Mais les charges engloutissent le chiffre d'affaires de 300.000 euros: "je paye mon salarié, je paye ce que je dois, toutes mes factures et il ne me reste rien. J'ai même perdu de l'argent", explique M. Caverot, qui ne s'est pas versé de salaire depuis un an et demi.
- Dépression -
Sa femme est infirmière. "Concrètement, c'est elle qui fait bouillir la marmite. A 56 ans, vous vous dites: +quand même, j'ai travaillé toute ma vie et j'arrive pas à gagner ma croûte en bossant 60 heures par semaine+".
Résultat, en 2015, il fait une dépression. "Je sentais bien que ça n'allait pas. Mon épouse le voyait aussi" mais "on n'a pas le réflexe" de demander de l'aide et "il y a une certaine fierté, on n'aime pas trop se dévoiler". "Il faut mettre un mouchoir sur sa fierté et se faire aider."
Alertée alors par un de ses délégués, élu de proximité, la MSA intervient. L'agriculteur rencontre une assistante sociale, puis un psychologue. S'il espère toujours "une bonne année pour revenir à flot", il dit avoir "retrouvé du plaisir" en apprenant à relativiser: "ce n'est que de l'argent", lance-t-il aujourd'hui, philosophe.
Comme lui, quatre autres exploitants bourguignons témoignent dans le film de leur solitude, de leurs problèmes de santé, de leurs doutes.
La MSA peut aider à faire évoluer ses pratiques, en diversifiant sa production par exemple, ou encore prendre en charge une "aide au répit pour épuisement professionnel", qui permet d'être remplacé pour souffler une semaine ou dix jours.
"C'est un peu une contre-culture par rapport à la mentalité agricole, où on considère que quand on a des difficultés, il faut plutôt travailler davantage", souligne Alain Lagneau, directeur de la Solidarité à la MSA Bourgogne.
Si le film n'a pas pour but de prévenir les suicides, "une réalité qu'on ne peut malheureusement pas nier", il "constitue malgré tout une action de prévention", estime M. Lagneau.
L'objectif est de "faire en sorte que les gens ne se replient pas sur eux-mêmes", ajoute le responsable, sollicité pour diffuser le film au-delà de la Bourgogne. "Ce sont des problématiques que l'on rencontre dans toutes les régions."