Celui qui a jadis dirigé toutes les polices de France se retrouve de l'autre côté de la barrière : l'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant va devoir répondre lundi aux enquêteurs sur son rôle dans l'affaire Tapie.
L'ancien secrétaire général de l'Elysée, bras droit de Nicolas Sarkozy dans sa conquête du pouvoir comme dans son exercice, a été placé en garde à vue à la Brigade financière où il est arrivé peu avant 08H30, a indiqué à l'AFP une source judiciaire.
C'est la deuxième fois que l'ancien "premier flic" de France est soumis à cette mesure coercitive déjà imposée dans l'affaire de ses primes perçues en liquide quand il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, place Beauvau.
Moins d'un an après la défaite de son camp, il avait également vu son cabinet et son domicile perquisitionnés en février 2013 dans deux dossiers. Les enquêteurs avaient trouvé trace d'un mystérieux virement de 500.000 euros, que cet ancien haut fonctionnaire explique par la vente à un avocat malaisien insaisissable de deux marines d'un peintre flamand du XVIIe siècle de renommée moyenne, Anders van Eertwelt.
Son audition dans le dossier de l'arbitrage était attendue. Claude Guéant a-t-il joué un rôle moteur dans la décision à l'automne 2007 de préférer un tribunal privé à la justice ordinaire pour régler le vieux différend entre le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie sur la revente d'adidas (XETRA:ADSGN) ? A-t-il pesé dans celle de ne pas contester la sentence qui octroyait plus de 400 millions d'euros à l'homme d'affaires ? A-t-il été sollicité pour que le fruit de l'arbitrage soit soumis à une fiscalité indulgente ?
Les juges soupçonnent que la sentence soit le fruit d'un "simulacre" d'arbitrage organisé avec l'aval de l'Elysée.
Ont été pour l'heure mises en examen pour escroquerie en bande organisée cinq personnes dont Bernard Tapie, son avocat Maurice Lantourne, un des trois juges-arbitres, Pierre Estoup, et l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, Stéphane Richard. Dans le volet ministériel du dossier, l'ex-ministre de l'Economie a été placée sous le statut intermédiaire de témoin assisté, ce qui lui a permis de rester à la tête du Fonds monétaire international (FMI).
- "Très impliqué" dans le dossier -
A l'issue de sa garde à vue, Claude Guéant peut être relâché sans charge ou présenté aux juges pour une éventuelle mise en examen. Sollicité par l'AFP quelques jours avant son audition, l'ex-homme fort de la Sarkozie s'est refusé à tout commentaire.
Devant les enquêteurs, Stéphane Richard a expliqué que son "interlocuteur à l'Élysée sur ce dossier (avait) été M. Guéant", "apparu dès le départ très impliqué sur cette affaire".
Désormais avocat, Claude Guéant, 69 ans, devrait devoir détailler ses relations avec Bernard Tapie et expliquer les nombreuses visites de l'homme d'affaires à l'Elysée, en 2007 et 2008, dans une période cruciale pour l'arbitrage. Parmi elles, une réunion clé, qu'il avait convoquée, fin juillet 2007, en présence de Bernard Tapie.
En mars 2013, les juges relevaient que Claude Guéant avait été "destinataire, dès 2005 alors qu'il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy" à l'Intérieur, "puis ultérieurement, en sa qualité de secrétaire général de la présidence de la République, de nombreuses demandes d'intervention de monsieur Bernard Tapie et de son avocat Me Lantourne, en lien avec ces contentieux et leurs prolongements, notamment sur l'aspect fiscal". Les magistrats évoquaient "son implication personnelle" dans le processus.
Bernard Tapie, qui estime avoir été escroqué par le Crédit Lyonnais dans la revente d'Adidas à Robert Louis-Dreyfus, ne conteste pas avoir tenté de sensibiliser des responsables successifs de l'exécutif, de droite comme de gauche, pour obtenir réparation.
Parallèlement à l'audition de Claude Guéant, Mes Gilles August et Jean-Pierre Martel, deux avocats du CDR, l'organe chargé de régler le passif du Crédit Lyonnais, sont aussi convoqués pour être confrontés, selon les mêmes sources.