En annonçant une réduction marquée de son offre, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) risque d'ouvrir une brèche pour les producteurs américains au moment où la rhétorique du futur président Donald Trump leur donne déjà le vent en poupe.
1,2 million de barils par jour (bj): c'est ce que l'Opep compte produire en moins à partir de janvier, selon une décision annoncée mercredi au grand soulagement d'un marché sur lequel les cours peinaient à se relancer depuis des mois.
Mais c'est aussi, à peu de choses près, la baisse de la production américaine depuis un an et demi, passée à un peu plus de 8,5 millions de bj en septembre dernier par rapport à un pic de plus de 9,6 millions en avril 2015.
"Les compagnies américaines vont (...) sauter sur l'occasion", écrivent les analystes de Morgan Stanley (NYSE:MS) dans une note publiée après la décision de l'Opep, évoquant la perspective de "cours plus élevés".
De fait, la reprise du marché, qui a déjà gagné plus de 10% et repassé 50 dollars dans la foulée de l'accord, est l'objectif principal du cartel. Mais si elle perdure, elle sera le gage d'une rentabilité qui donnerait aux producteurs américains la tentation de relancer leur activité, au risque d'inonder de nouveau le marché et de faire mécaniquement déprimer les cours.
"Bizarrement, quand les ministres du pétrole (de l'Opep) ont été interrogés sur cette éventualité, ils n'ont pas semblé s'inquiéter", se sont étonnés les experts de Morgan Stanley.
Estimant qu'il fallait entre six et neuf mois aux compagnies pour répercuter les fluctuations du marché, ils prévenaient que la production américaine risquait de bondir lors de la deuxième moitié de 2017, au moment même où l'Opep pourrait être tentée de faire repartir la sienne après avoir appliqué son accord.
Plus que les producteurs traditionnels de pétrole américain, dont l'activité est restée plutôt stable ces dernières années, c'est l'exploitation des hydrocarbures de schiste qui est surveillée avec attention car elle est très réactive au marché et, à elle seule, a presque fait doubler la production américaine entre 2010 et 2015.
Avant même la décision de l'Opep, le contexte politique intérieur semblait déjà engageant, car le futur président, le républicain Donald Trump, a multiplié pendant sa campagne électorale les promesses de mesures favorables au secteur, s'engageant à "lever les restrictions sur l'énergie américaine".
- Dernier mot au marché -
"Ces mesures pourraient considérablement déprimer les cours du pétrole, puisque M. Trump a promis de promouvoir les investissements dans le secteur du pétrole de schiste, d'ouvrir à l'exploitation une plus grande partie du domaine fédéral, ainsi que d'encourager le développement énergétique en mer", note Patrick Dennis, d'Oxford Economics.
Quant à une politique de déréglementation, notamment par rapport aux effets controversés de la "fracturation hydraulique" dans le schiste, les atermoiements de l'agence américaine de protection de l'environnement (EPA), qui a publié une étude aux conclusions apparemment rassurantes sur le sujet avant de rétracter son communiqué de presse, laissent la voie ouverte aux spéculations.
Reste que le flou règne sur les réelles intentions de M. Trump, qui a maintenu ces dernières semaines l'ambigüité sur sa position quant au changement climatique.
En tout état de cause, l'économie des Etats-Unis fonctionne de manière bien plus libérale que la majeure partie des pays producteurs, chez qui la politique énergétique reste imprimée par les gouvernements, et, comme l'avançait encore fin novembre le PDG du français Total (PA:TOTF), l'attitude des producteurs américains dépendra plus du marché que de M. Trump.
C'est donc bien l'Opep et la mise en oeuvre réussie ou non de son accord qui semblent détenir la clé, au moment où des observateurs se montrent déjà prudents sur la capacité du cartel à faire respecter ce pacte, malgré la mise en place d'un comité de surveillance et l'imposition de quotas précis à chaque membre.
"Les producteurs américains de schiste vont accélérer un peu leur activité, mais ils vont y aller lentement", avance Carl Larry, de Frost & Sullivan, soulignant que les compagnies gardent le souvenir d'un pétrole presque tombé à 25 dollars le baril début 2016 face à la surabondance générale.
"Cette fois, ils vont être très prudents", a-t-il conclu.