Contraintes par les quotas imposés par le gouvernement, les grandes entreprises françaises disent embaucher davantage d'apprentis par devoir "citoyen" et pour éviter les amendes, plus que par réelle nécessité, contrairement aux artisans qui ne peuvent s'en passer.
"Nous voulons jouer un rôle d'entreprise citoyenne, formatrice et nous voudrions éviter de payer": Claude Chicher, le Monsieur apprentissage d'Air France annonce la couleur.
Brandissant l'alternance comme une solution au chômage des jeunes, l'actuel gouvernement a imposé des quotas d'apprentis aux entreprises de plus de 250 salariés. Elles devront avoir au moins 5% d'apprentis en 2015. Le taux moyen d'apprentis dans les entreprises n'est aujourd'hui que de 1,7%, alors que le quota imposé atteint déjà 4%.
Au risque d'être sanctionné par une contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) qui pourra atteindre jusqu'à 0,6% de la masse salariale en 2015 pour les plus grosses structures.
Avec ses 55.000 employés, le malus pour Air France pourrait se chiffrer en millions. La compagnie aérienne s'est donc engagée à passer le cap des 1% d'alternants à la fin de l'année, contre 0,6% en 2011.
Mais ce système a des limites pour l'entreprise, en grande difficulté financière. "On prend des jeunes comme le gouvernement le souhaite mais sans possibilité de les embaucher ensuite" puisque les embauches sont gelées, explique Claude Chicher.
"En temps normal, l'apprentissage est l'outil rêvé pour pré-recruter", reconnaît-il néanmoins.
"Effet de mode"
Veolia confirme: "l'apprentissage a un intérêt si les alternants restent dans l'entreprise, afin d'avoir un retour sur investissement", relève Isabelle Quainon, directrice de la formation.
Chaque jeune coûte environ 20.000 euros par an, la moitié pour la formation, l'autre pour le rémunérer, détaille-t-elle.
Pour avoir les retombées de cet investissement, le groupe de services et de transport promet donc un CDI à chacun de ses 2.000 alternants à la sortie. Un bon moyen par ailleurs pour attirer sur des métiers peu valorisés comme la propreté, ajoute Mme Quainon.
Comme Veolia, SFR fait figure de bon élève: depuis 2009, l'opérateur a 5% d'alternants (500 jeunes environ), sur tous les métiers.
Au final, un peu moins d'un tiers intègre l'entreprise.
Mais pour l'opérateur, l'apprentissage est "un relais" de la diversité dans l'entreprise, il permet "de recruter d'autres profils" notamment grâce au cabinet de recrutement Mozaïk RH, explique Marie-Christine Théron, directrice générale des ressources humaines.
Pour les grands groupes français, l'apprentissage est une obligation, au mieux un plus. Mais beaucoup préfèrent encore payer que respecter les quotas. Plus de 50% des entreprises de plus de 250 salariés ont d'ailleurs toujours moins d'1% d'apprentis.
Des statistiques qui tranchent avec celles des artisans dont les petites structures forment à elles seules 200.000 des 420.000 apprentis de France, selon des données de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA).
Les grandes sociétés "préfèrent parfois piquer aux artisans des apprentis qu'ils ont formés plutôt que de les former elles-mêmes, raison pour laquelle le gouvernement a imposé ces quotas", analyse Alain Griset, président de l'APCMA.
"Pour nous, l'apprentissage n'est pas un effet de mode, il fait partie de nos gènes", insiste M. Griset. La preuve, selon lui: un chef d'entreprise artisanale sur deux est passé par l'apprentissage.
Ce mode de formation est en effet le seul compatible avec le secteur, notamment sur les métiers d'art, de l'alimentaire ou du bâtiment, dans lesquels le savoir-faire se transmet de la main du maître à celle l'élève.