Après avoir choisi un ministre de l'Economie orthodoxe, apprécié des marchés, la présidente de gauche Dilma Rousseff, réélue de justesse en octobre, a nommé mardi soir Katia Abreu à l'Agriculture, une représentante du puissant secteur agroalimentaire, détestée des écologistes.
En 2010, elle a remporté le titre ironique de "Tronçonneuse d'Or" décerné par Greenpeace et les paysans sans-terre. Les indigènes l'ont baptisée "Reine de la déforestation" en Amazonie. Ils l'accusent de privilégier l'expansion de l'agrobusiness au détriment de l'agriculture familiale et de l'environnement.
Katia Abreu, 52 ans, est une grande propriétaire terrienne de l'Etat amazonien du Tocantins. Sénatrice depuis 2006, elle appartient au parti centriste PMDB, de la coalition gouvernementale, mais a commencé dans la politique à droite.
Elle devient la première femme à prendre la tête du ministère de l'Agriculture au Brésil, pour le second mandat de Mme Rousseff qui commence le 1er janvier.
Soutenue par les grands producteurs agricoles, elle a été critiquée par ses sympathisants pour faire partie d'un gouvernement du Parti des Travailleurs (PT, gauche, au pouvoir depuis 12 ans) qu'elle critiquait vertement.
Mais elle s'attire aussi les foudres des mouvements de Sans Terre qui réclament une réforme agraire et voient dans sa nomination une "trahison" de la part de la présidente Rousseff. Ils ont déjà promis une résistance féroce à sa gestion.
- Comparée à Margaret Thatcher -
Le caractère volontaire de Mme Abreu lui a valu la comparaison avec Margaret Thatcher, l'ancienne Premier ministre britannique surnommée la "Dame de Fer". Elle justifie son soutien au gouvernement de Mme Rousseff en assurant qu'"elle n'accepte ni les exigences de la droite ni celles de la gauche".
"Je suis libre et je vis dans une démocratie", a-t-elle posté sur son compte Twitter.
Présidente de la Confédération nationale de l'Agriculture (CNA) - poste qu'elle abandonne pour devenir ministre -, elle défend becs et ongles l'agrobusiness qui représente 23,3% du PIB du Brésil, 7e économie mondiale.
Elle rejette l'expropriation de terres non productives à des fins de réforme agraire et soutient les cultures transgéniques. Elle veut que le Brésil détrône les Etats-Unis comme premier producteur mondial d'aliments.
"Nous figurons parmi les dix principales économies de la planète et cela exige, entre autres, des investissements en infrastructure. Nous devons dépasser les vieux modèles qui alimentent l'action prédatrice de groupes idéologiques de gauche et de droite", déclarait-elle récemment à la CNA.
Pour les Indiens qui réclament la délimitation de leurs terres, sa nomination va "à l'encontre des revendications des mouvements sociaux brésiliens". Car Katia Abreu a d'ores et déjà prévenu que si le taux moyen de création de réserves indiennes se maintient, en 2031 il n'y aura plus de surface pour la production agricole.
- 'La présidence... mon destin' -
Mme Abreu a commencé sa trajectoire de leader agricole à la mort de son mari dans un accident d'avion. Elle avait 25 ans et était enceinte de son troisième enfant. Elle a dû prendre les rênes de son énorme propriété terrienne.
"Au début je ne distinguais pas une vache d'un taureau", a-t-elle confié à l'hebdomadaire conservateur Veja.
Mais elle ne cache pas ses ambitions : "Disputer la présidence n'est pas un plan, c'est un fait (...) C'est mon destin", a-t-elle assuré dans un entretien au journal The Guardian, cette année.
"Abreu représente l'importance de l'agrobusiness pour relancer l'économie en berne. Rousseff sera plus pragmatique pour son second gouvernement et renforcera sa relation avec le secteur. Le défi sera de gérer les répercussions négatives de sa nomination avec le PT", explique à l'AFP Rafael Cortes, analyste politique du consultant Tendencias.
Comme ministre, Mme Abreu devra affronter ses vieux adversaires. "Elle représente le Latifundium (grand propriétaire terrien, ndlr) arriéré qui a la terre comme instrument de pouvoir et de spéculation immobilière, sans aucune préoccupation avec l'environnement", déplore Igor Santos, un dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).
Selon l’Institut national de statistiques, 43% des terres agricoles du pays appartiennent à 1% des propriétaires.