PARIS (Reuters) - Les syndicats engagés dans une guerre d'usure avec le gouvernement sur le projet de loi Travail ont maintenu jeudi la pression dans la rue avec une huitième journée de mobilisation, qui a rassemblé davantage de manifestants que la semaine dernière.
Le ministère de l'Intérieur a compté environ 154.000 personnes dans les cortèges, contre 129.000 une semaine plus tôt. La CGT en a recensé près de 300.000, voyant là le signe d'un mouvement qui "prend une ampleur inégalée".
"Le bras de fer continue", a jugé en fin d'après-midi Jean-Claude Mailly, numéro un du syndicat Force ouvrière (FO), avec lequel l'exécutif entretient le dialogue en coulisses pour tenter de faire évoluer le rapport de force.
Mené par la CGT, le front du refus a durci ces jours-ci le mouvement en bloquant raffineries et dépôts de carburant et en multipliant les appels à la grève dans des secteurs stratégiques comme les centrales nucléaires, accentuant la fracture avec les organisations réformistes qui soutiennent le texte.
Nouveaux venus dans la contestation, les personnels des 19 centrales nucléaires ont voté mercredi une grève qui a déjà entraîné des baisses de production d'électricité, pour l'instant marginales.
Le porte-parole de la fédération mines-énergie de la CGT, Laurent Langlard, a fait état en fin de journée d'une baisse de charge de 6.000 megawatts, une application internet du Réseau de transport d'électricité (RTE) plutôt de 3.000 à 4.000 MW.
Selon une porte-parole d'EDF (PA:EDF), le taux de grévistes a été de 14,67% dans la journée dans les sites du groupe.
De 20% à 30% des stations-service de France sont par ailleurs restées fermées ou ont connu des difficultés d'approvisionnement, d'après le gouvernement.
Le ministère de l'Intérieur a également dénombré 94 barrages routiers en France.
REFUS DE RETOUCHER L'ARTICLE 2
Les opposants au projet de loi Travail peinent cependant à faire le plein dans la rue, si l'on compare avec le mouvement de 2010 contre la réforme des retraites menée par la droite sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le ministère de l'Intérieur avait alors compté plus d'un million de manifestants au plus fort de la mobilisation.
Jeudi, entre 18.000 et 19.000 ont répondu à Paris à l'appel des sept organisations opposées au projet de loi de lka ministre du Travail, Myriam El Khomri, (CGT, FO, Solidaires, FSU, UNEF, UNL et FIDL). Les manifestants étaient par exemple 3.500 à Rennes selon la police, 8.000 selon les syndicats, entre 6.000 et 20.000 à Toulouse.
Des débordements sont survenus à Paris, où 36 personnes ont été interpellées et dix autres blessées en marge du cortège, à Nantes ou à Bordeaux, où un poste de police a été pris pour cible par des manifestants.
Face à la contestation, le Premier ministre a réitéré son refus de retirer le texte et de retoucher l(article 2, le plus controversé, qui affirme la primauté des accords d'entreprise.
"On ne peut pas bloquer un pays, on ne peut pas s'en prendre ainsi aux intérêts économiques de la France", a répété Manuel Valls lors des questions d'actualité au Sénat.
Le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, a pour sa part dénoncé "un gouvernement qui se radicalise" dans une tribune publiée dans L'Humanité, proche du Parti communiste et seul quotidien national en kiosque jeudi.
Le syndicat du Livre CGT a empêché la parution des autres titres en représailles à leur refus de publier cette tribune, selon le syndicat de la presse quotidienne nationale.
MOUVEMENT JUSTIFIÉ POUR 62% DE FRANÇAIS
Le conflit paraît pour le moment sans issue, alors que la France s'apprête à accueillir l'Euro de football, dont le coup d'envoi sera donné le 10 juin.
"L'Euro c'est dans 10 jours (15 en réalité-NDLR). Il y a encore le temps au gouvernement de dire 'on arrête tout' et tout se passera bien", a déclaré le secrétaire général de la CGT au début de la manifestation parisienne, avec Jean-Claude Mailly à ses côtés.
Le gouvernement exclut tout risque de pénurie de carburant et assure que les forces de l'ordre continueront à débloquer les dépôts pétroliers. Quatorze d'entre eux ont été débloqués jeudi, selon l'Intérieur.
La SNCF a quant à elle fait état d'une amélioration du trafic au deuxième jour d'une grève de 48 heures lancée par la CGT et Sud Rail, en attendant un mouvement plus large et illimité à partir du 31 mai.
Selon Aéroports de Paris, 15% des vols étaient annulés à Orly et des retards à prévoir à Roissy.
Malgré le début de paralysie dans certains secteurs, 62% des Français estiment le mouvement de contestation "justifié", d'après un sondage Ifop pour RTL.
Une journée nationale de grèves et de manifestations interprofessionnelles est d'ores et déjà prévue le 14 juin, en plein Euro.
(Simon Carraud et Ingrid Melander, avec Service France, édité par Emmanuel Jarry)