Un lait sans OGM ni huile de palme, produit, transformé et vendu directement par les agriculteurs: dans l'ouest de la France, des éleveurs se sont libérés du carcan des coopératives et ont lancé en septembre leur propre laiterie, avec succès.
Ce tournant "radical", Fabrice Hégron, éleveur avec son frère à Montbert (Loire-Atlantique), l'a pensé il y a plus de six ans pour "redonner sens et vivre de son métier". "On s'est posé une question, comment être agriculteur en 2020. Et la réponse, ça a été: produire différemment, transformer nous-mêmes et vendre nous-mêmes", retrace le président de la société par actions simplifiée (SAS) "De nous à vous".
Après cinq ans de réflexions, le projet s'est concrétisé. "Et on s'éclate!", dit-il, le sourire aux lèvres. "Bien sûr, ça n'a pas été un long fleuve tranquille, il fallait changer le modèle agricole, changer les mentalités agricoles", reconnaît Fabrice Hégron. Et aussi convaincre banques et investisseurs de financer les 8,5 millions d'euros nécessaires, "libérer" les exploitants de leurs précédents contrats avec des géants laitiers, trouver les clients.
La première brique de lait estampillée "En direct des éleveurs" est finalement sortie le 12 septembre dernier de la laiterie de Fabrice Hégron et de ses associés, dans un ancien abattoir de volailles à Remouillé, à une vingtaine de kilomètres au sud de Nantes.
Plus de deux millions de litres ont été vendus depuis, dans quelque 250 magasins U et Leclerc du grand ouest, de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) à Mimizan (Landes), et dans trois magasins parisiens.
- "Reprendre les choses en mains" -
La laiterie, qui travaille avec 31 éleveurs de quatorze exploitations, en Pays de la Loire et en Nouvelle-Aquitaine, continue à recruter, "tant que cela reste cohérent d'un point de vue géographique", souligne le président de la société.
Le cahier des charges est "strict" - du lait Omega 3 labellisé "Bleu Blanc Coeur", sans OGM et sans huile de palme -, la sélection des éleveurs "drastique", avec lettre de motivation, audit de l'élevage ... et de l'éleveur. "Sur 100 candidatures, on en garde une ou deux. On rémunère au juste prix, mais quelqu'un qui vient là pour l'argent c'est rédhibitoire. (...) L'humain, c'est la clé de la réussite", avise Fabrice Hégron.
"Il y a un vrai esprit d'équipe. Si un samedi il faut aller dans un magasin pour expliquer la démarche aux consommateurs, on y va car c'est pour nous, on ne se pose même pas la question", confirme Patrice Martin, éleveur depuis 1985 à Vieillevigne (Loire-Atlantique) et nouvel associé de la société.
Après les manifestations de l'an dernier pour obtenir un "juste prix" du lait, l'éleveur s'est décidé à "reprendre les choses en mains. Rester avec l'autre modèle de production, c'était mourir. Quitter notre laiterie, ça n'a pas été sans mal, mais on l'a fait", ajoute M. Martin, "plus serein" depuis qu'il est "maître de (son) lait".
Après être parti en camion, le lait "En direct des éleveurs" est "hyper tracé". Grâce au QR code (code-barres) sur la poche, "le consommateur sait quand ça a été produit, par qui ça a été produit et quand ça a été transformé. Ca a un coût, mais c'est un choix, on a voulu montrer ce qu'on faisait", met en avant Fabrice Hégron.
Quelque 650.000 litres de lait sont transformés chaque mois dans la laiterie de près de 3.000 m2. A plein régime, elle a une capacité de production d'environ 1,5 million de litres.
La société "De nous à vous" a reçu le label de l'Etat "La France s'engage" et divers prix d'innovation sociale. Elle espère ouvrir prochainement une deuxième laiterie en Nouvelle-Aquitaine... Et pourquoi pas dupliquer le modèle ailleurs en France: "On a été approchés d'un peu partout, des Vosges, même de l'étranger", assure Fabrice Hégron.