par Simon Gardner et Ana Isabel Martinez
LA HAVANE (Reuters) - Du débarquement la Baie des cochons en 1961 à la visite historique de Barack Obama en mars dernier, le régime cubain a toujours su faire preuve d'orgueil. Mais avec la mort "d'El Comandante" et l'arrivée de Donald Trump qui se profile à la Maison blanche, les relations entre Washington et La Havane entrent dans l'inconnue.
Sur l'île communiste, beaucoup redoutent que le futur président américain referme la porte entrouverte depuis le rétablissement des relations diplomatiques initié par Raul Castro et Barack Obama.
Au cours de sa campagne électorale, Donald Trump a assuré la communauté américano-cubaine de Floride qu'il ferait preuve de fermeté face au régime castriste et s'est même engagé à refermer les portes l'ambassade américaine à La Havane, rouvertes à l'été 2015.
L'homme d'affaires semblait toutefois moins vindicatif lorsqu'il déclarait au cours de la primaire républicaine qu'il s'accommodait du rétablissement des relations diplomatiques tout en reprochant à Barack Obama de n'avoir pu obtenir de meilleur accord avec La Havane.
A l'annonce de la mort de Fidel Castro, Barack Obama a évoqué une "figure singulière" tandis que son successeur fustigeait un "dictateur brutal" dont l'héritage pouvait se résumer à des "des pelotons d'exécution, du vol, des souffrances inimaginables", tout assurant que son gouvernement ferait "tout ce qu'il peut pour faire en sorte que le peuple cubain s'engage finalement sur le chemin de la prospérité et la liberté."
A Cuba comme à Miami, on s'interroge désormais sur l'approche que retiendra le 45e président des Etats-Unis.
DIX PRÉSIDENTS
Fidel Castro est entré dans la lumière en 1959 en renversant un gouvernement soutenu par les Etats-Unis, a repoussé une opération anticastriste appuyée par la CIA en 1961 et a toisé le président Kennedy lors de la crise des missiles un an plus tard.
Au cours des 49 années qu'il a passé à la tête de l'île, il a croisé le fer avec dix présidents américains et s'il est resté dans l'ombre depuis qu'il a passé les rênes du pouvoir à son frère Raul, il n'a jamais manqué une occasion de rappeler aux Cubains que les Etats-Unis restaient leur principal adversaire.
Si Raul Castro n'a pas cédé à Barack Obama qui réclamait l'avènement d'un régime pluraliste, beaucoup de Cubains se demandent s'il sera de taille à affronter Donald Trump.
"Avec la mort "d'El Comandante, l'avenir me préoccupe car je redoute ce que pense Donald Trump et sa manière de se comporter", explique Yaneisi Lara, une vendeuse de rue de 36 ans.
"Il est capable de repartir en arrière et de bloquer tout ce qui a été enclenché, toutes les choses qu'Obama a faites, et il en a fait beaucoup, pour rapprocher les Etats-Unis de Cuba", a-t-elle dit, ajoutant qu'elle songeait à s'exiler de l'autre côté du détroit de Floride.
Malgré ses efforts, Barack Obama n'est pas parvenu à lever l'embargo américain qui frappe Cuba, même s'il s'est dit personnellement opposé à ce régime de sanctions et qu'il a utilisé ses prérogatives présidentielles pour améliorer les relations commerciales entre les deux pays.
Coïncidence du calendrier, le premier vol commercial américain pour La Havane en près d'un demi-siècle doit arriver lundi.
TRUMP RESTE FLOU
Toutes les mesures prises par Barack Obama pourront être facilement levées par son successeur. Si Donald Trump est resté flou sur ses intentions, il a recruté dans son équipe de transition un partisan du maintien de l'embargo, Mauricio Claver-Carone.
"Trump est l'exact opposé d'Obama", observe Pablo Fernandez Martinez, un chauffeur de taxi âgé de 39 ans.
Si difficile qu'elles soient, les conditions de vie des Cubains se sont légèrement améliorées depuis le rétablissement des relations diplomatiques qui ont permis l'arrivée de devises sur l'île. Mais cette embellie pourrait ne pas durer, redoute Pablo Fernandez Martinez.
"Il y aura sans doute moins de tourisme. Cela pénalisera tout le monde à Cuba et cela pénalisera l'économie", explique ce père de famille qui gagne de 100 à 120 dollars (95 à 115 euros) par semaine en transportant des touristes.
Ingénieur à la retraite âgé de 68 ans, Pedro Machado, loue désormais quelques chambres dans son appartement situé près de la célèbre promenade du "Malecon", le front de mer de La Havane. Devant son poste de télévision, il ne cache pas son inquiétude.
"Les politiques de Trump sont très agressives. Il va falloir attendre de voir ce qu'il fait réellement, mais il s'agit sans aucun doute d'une mauvaise nouvelle pour l'Amérique latine et pour Cuba en particulier"", dit-il.
"Ma génération a bénéficié de la révolution de Fidel, pour l'éducation, les pauvres ont été aidés. Tout n'a pas été rose, mais Fidel nous a aidés", ajoute-t-il.
"Les Etats-Unis se sont comportés en empire et c'est ce que Trump représente. Avec tout ce qu'il a dit, l'avenir n'est pas encourageant."
(Avec Marc Frank, Nicolas Delame pour le service français)