par Sophie Louet
PARIS (Reuters) - Les écueils judiciaires qui ébranlent la reconquête politique de Nicolas Sarkozy depuis 2014 se sont brusquement élevés lundi avec la menace d'un renvoi en correctionnelle, portant un coup sérieux à ses chances pour l'investiture à droite.
Dans un registre désormais éprouvé, les proches de l'ancien président ont dénoncé un "télescopage" avec la campagne pour la primaire des 20 et 27 novembre, suggérant une entreprise de déstabilisation du pouvoir en place, tout en soulignant la "sérénité" du candidat. Nicolas Sarkozy est apparu souriant lundi au sortir de son QG de campagne parisien mais a refusé de répondre aux questions des journalistes.
"Nous sommes face à la poursuite de cette opération de harcèlement politique de Nicolas Sarkozy", a dit à des journalistes le député LR Eric Ciotti, l'un de ses partisans.
"On a eu des non-lieux, des affaires qui ont fait 'pschitt'. On le sait, c'est comme ça", a voulu relativiser le sénateur LR Roger Karoutchi.
Le parquet de Paris a requis le 30 août son renvoi en correctionnelle pour financement illégal de campagne électorale en marge de l'affaire dite "Bygmalion", symbole involontaire de sa campagne perdante de 2012. Nicolas Sarkozy soutient n'avoir "jamais trahi la confiance des Français".
Son avocat, Me Thierry Herzog, a contesté "une nouvelle manoeuvre politique grossière" en s'étonnant des chefs retenus et de l'argumentaire du parquet voulant que Nicolas Sarkozy ait "exercé une autorité incontestable sur de multiples aspects matériels de la campagne" et "était le premier bénéficiaire et le principal donneur d'ordre des événements".
Les soutiens de Nicolas Sarkozy, même s'ils concèdent en privé un coup du sort, relaient la thèse de la "présomption de culpabilité" pesant sur leur champion, un argument qui porte auprès de la base militante de LR, mais guère au-delà.
JUPPÉ NE VEUT PAS DONNER DE "LEÇON DE MORALE"
"Au fond, cela devrait être un parcours initiatique obligé pour toute personne aspirant à exercer les responsabilités du pouvoir de se retrouver, un jour, dans la peau du 'gibier", c'est-à-dire de celui qui, quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, devient à un instant donné coupable, forcément coupable", écrit Nicolas Sarkozy dans son livre "La France pour la vie".
Les états-majors concurrents, notamment chez Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire, se gardent de commenter "une décision de justice" mais ce nouveau développement dans un dossier pour lequel l'ex-président des Républicains a été mis en examen le 16 février n'est pas le moindre de leurs atouts.
Il rencontre ainsi un écho troublant avec les attaques de François Fillon, qui a lancé le 28 août une formule assassine contre Nicolas Sarkozy ("Qui imagine le général de Gaulle mis en examen?") et ne cesse de plaider pour la probité en politique.
Critiqué, l'ancien Premier ministre a persisté lundi matin sur RTL, deux heures avant que ne soit rendue publique la décision du parquet.
"Comme à gauche et à droite il y a des affaires dans tous les sens, je dis qu'il faut revenir à une conception plus rigoureuse de l'exercice du pouvoir", a-t-il déclaré.
Alain Juppé, pour lequel les sondages prédisent un second tour avec Nicolas Sarkozy, s'est conformé à son "code de bonne conduite" raillé la veille par l'ancien président à La Baule (Loire-Atlantique) en se refusant à "toute attaque personnelle".
"Je n'ai pas de leçon de morale à donner à quiconque là-dessus", a dit le maire de Bordeaux, condamné en 2004 à 18 mois de prison avec sursis assortis d'une peine d'inéligibilité de cinq ans dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris.
"CABINET NOIR"
L'entourage de Bruno Le Maire s'est lui aussi refusé à tout commentaire : "Nous avons une règle, pas de réaction sur les décisions judiciaires, la justice est indépendante".
Des fidèles de Nicolas Sarkozy comme Roger Karoutchi ou le député LR Georges Fenech ont mis en avant le "hasard" des réquisitions avec l'ouverture lundi à Paris du procès de l'ancien ministre socialiste du Budget Jérôme Cahuzac, pour fraude fiscale notamment.
Vendredi, le député chargé de superviser la primaire de la droite, Thierry Solère, proche de Bruno Le Maire, avait mis en cause "un cabinet noir" de l'Elysée après une plainte pour fraude fiscale à son encontre.
"C'est quelque chose de nouveau depuis 2012 à laquelle la droite n'est sans doute pas habituée. Le pouvoir politique avec François Hollande ne se mêle pas des affaires de justice", a répliqué sur franceinfo le député PS Eduardo Rihan Cypel.
"C'est devenu une habitude. C'est la ritournelle systématique des mises en examen de Nicolas Sarkozy", a-t-il ajouté.
Pour le politologue Thomas Guénolé, les réquisitions du parquet - les juges disposent en théorie d'un mois pour renvoyer ou non les mis en examen - sont "peut-être l'épée de trop au-dessus de la tête de Nicolas Sarkozy".
"L'argument du complot judiciaire fonctionnait très bien au début mais avec un risque de mithridatisation. A un moment donné, à force de l'utiliser, ça finit par ne plus prendre et donc il n'y a plus que le noyau dur du fan club qui y croit", avance-t-il.
"Si les juges décident d'un renvoi, ça accréditera l'idée, qui était déjà dans l'air dans l'électorat de droite, que, quitte à choisir un candidat pour la présidentielle autant ne pas avoir quelqu'un qui ferait l'objet de procédures judiciaires en cours", juge-t-il.
(Avec Emile Picy, édité par Yves Clarisse)