La neige recouvre déjà la taïga environnante mais, à perte de vue, ouvriers et grues s'activent. D'ici à 2020, le site abritera le plus vaste complexe pétrochimique de Russie, qui compte sur le plastique pour valoriser ses hydrocarbures en période de pétrole bon marché.
Structures de béton et colonnes métalliques de plus de 100 mètres de haut hérissent le paysage de ce chantier de 460 hectares (plus de 700 terrains de football) et de 9 milliards de dollars qui mobilise 16.000 ouvriers à Tobolsk, en Sibérie Occidentale.
Cette ville dominée par son Kremlin du 17e siècle de pierres blanches et aux bulbes dorés est de longue date un centre important de la pétrochimie russe. Mais l'expansion réalisée actuellement par le numéro un russe du secteur, Sibour, va lui donner une autre dimension.
Ce projet, baptisé ZapSibNeftekhim, vise à construire la plus grande usine en Russie de polymères, ces matériaux à la base de plastique synthétique utilisés pour la pharmacie, le bâtiment, l'automobile, les emballages... Ils sont issus de la transformation de produits obtenus lors de l'extraction de pétrole et gaz, ici sur les immenses gisements du Grand Nord de la Sibérie Occidentale.
La capacité de production est prévue à 2 millions de tonnes par an dont 1,5 million d'éthylène, ce qui placera le site parmi les plus importants dans le monde.
"Le projet permettra de doubler la production de la Russie", assure Ivan Paltchik, un responsable de ce chantier au sein de Sibour. "Il permettra à la Russie de compenser ses importations, et prévoit des exportations vers les pays d'Europe et d'Asie", poursuit-il, casque sur la tête.
Pour couvrir l'investissement nécessaire, Sibour, dont le premier actionnaire est le milliardaire Leonid Mikhelson, considéré par le magazine Forbes comme la première fortune de Russie, a dû emprunter des sommes importantes.
Il bénéficie de crédits de banques européennes, pourtant frileuses à prêter aux entreprises russes en raison des sanctions imposées par les Occidentaux à cause de la crise ukrainienne. Ces fonds visent notamment à financer les contrats remportés pour ce chantier par le spécialiste allemand des gaz industriels Linde, chargé d'une partie de l’ingénierie, et par le sidérurgiste allemand ThyssenKrupp (DE:TKAG).
L'assureur-crédit français Coface a apporté une garantie de crédit de 412 millions d'euros pour couvrir une partie des dépenses de ce chantier hors norme.
- Diversifier -
"Les conditions sont très difficiles dans cette zone: l'hiver est très rude, ce qui complique la construction et la livraison des équipements", reconnaît Thomas Hoff, représentant de Linde sur le site.
"Nous ne disposons que d'une courte fenêtre pendant l'été pour nous assurer que les équipements arrivent à temps", ajoute-t-il. Derrière lui, une grue monte une gigantesque colonne métallique tout juste arrivée par le fleuve, bientôt gelé pour plusieurs mois.
Sibour a pu compter sur d'importants crédits publics du gouvernement russe, signe du caractère stratégique du projet.
"C'est une tendance qui touche tous les pays producteurs de pétrole", souligne un consultant d'une institution européenne active dans le secteur, sous couvert d'anonymat: développer la pétrochimie pour ne pas se reposer seulement sur les hydrocarbures bruts mais diversifier la filière et exporter aussi des produits à plus forte valeur ajoutée.
Cette stratégie est d'autant plus payante que les prix du pétrole se sont effondrés depuis deux ans, entraînant ceux du gaz. Au lieu de vendre une matière première à bas coûts, autant la transformer et revendre du plastique plus cher.
A l'échelle de Sibour, dont les activités se partagent entre traitement du gaz et pétrochimie, le projet ZapSibNeftekhim représente une charge financière considérable "dans une période de prix des produits pétrochimiques faibles et volatils", mais "va entraîner une transformation", relevait récemment l'agence d'évaluation financière Fitch: "Il va réduire la part du chiffre d'affaires dépendant de produits énergétiques indexés sur le pétrole, qui va passer de 45% à 30%, et augmenter celle des produits pétrochimiques à valeur ajoutée, de 40% à 60%".