"Sommes-nous des esclaves ?", s'élève une voix dans la nuit glaciale. "Non !", répondent en choeur les dizaines de mineurs qui bloquent l'entrée de leur mine de l'Est de l'Ukraine pour récupérer des mois de salaires impayés.
Depuis mercredi dernier, quatre mines de l'entreprise publique Selidivvouguillia, parmi les plus grosses du pays, sont paralysées.
La majorité des 10.000 employés sont en grève après plusieurs mois sans salaires, dramatiques dans une région où les mines constituent un employeur de poids et où la situation sociale est aggravée par quatre ans de conflit entre armée et séparatistes prorusses à proximité.
A une cinquantaine de kilomètres de la zone de guerre, plus de 200 mineurs sont rassemblés jours et nuits à Novgorodivka et Selydové et tiennent des barrages sur les routes d'accès aux mines.
A chaque fois qu'un bus s'approche, ils le bloquent et font descendre tous ceux qui travaillent à extraire la houille. Seuls ceux qui assurent la maintenance sont autorisés à passer.
"On n'est plus payés depuis décembre", raconte à l'AFP Léonid Chebanov, un mineur de 30 ans dont le salaire est de 6.000 hryvnias par mois (178 euros). "Nous nous sommes unis pour attirer l'attention des hommes politiques sur notre situation", poursuit-il à côté d'un brasero improvisé dans un tonneau métallique.
La totalité des arriérés de salaires des mineurs ukrainiens s'élevait à 869 millions de hryvnias, soit 25,8 millions d'euros, à la mi-février, selon Mykhaïlo Volynets, président du Syndicat indépendant des mineurs.
Deux jours après le début de la grève, le ministère de l'Energie et de l'Industrie houillère a annoncé dans un communiqué en avoir remboursé une dette de 365 millions de hryvnias (10,8 millions d'euros), accumulée pendant l'année dernière.
Mais le reste, pour les premières semaines de 2018, n'a pas été payé.
- Seul moyen de subsistance -
"On nous a rendu une partie de notre argent, mais c'est de la poudre aux yeux", s'insurge Sergui Dourov, 35 ans, venus soutenir ses collègues à Novogrodivka avec sa fille de trois ans.
Il dénonce l'opacité du fonctionnement de l'entreprise : "Personne ne sait à qui on vend notre charbon, tout est entouré de secret", renchérit-il, en berçant la fillette, enveloppée dans une couverture.
Des experts dénoncent depuis des années la corruption qui règne dans les mines publiques comme dans de nombreux secteurs de l'économie ukrainienne.
Selon Oleksandre Khartchenko, analyste du Energy Industry Research Center, les arriérés de salaires sont parfois instrumentalisés par des responsables du secteur minier pour obtenir des hausses de subventions et des tarifs pour l'achat de charbon, qui viennent ensuite alimenter la corruption.
L'Ukraine compte presque 150 mines de charbon, concentrées principalement dans le riche bassin houiller du Donbass, dans l'est du pays, mais deux tiers d'entre elles se trouvent actuellement sur le territoire contrôlé par les séparatistes prorusses.
Le conflit armé avec ces rebelles soutenus par Moscou a fait plus de 10.000 morts depuis son éclatement en avril 2014, et encore aggravé la situation sociale dans l'Est ukrainien.
Beaucoup de localités situées près de la ligne de front ont été touchées par des bombardements, provoquant l'exode de la plupart des employeurs locaux, et fait du travail dans les mines pratiquement le seul moyen de subsistance dans cette région.
"Nous n'avons pas d'autre travail. Si nos mines sont fermées, les villes vont tout simplement mourir", estime Léonid Chebanov.
A l'époque soviétique, "le métier de mineur était respecté et prestigieux", soupire un autre gréviste. Mais quand aujourd'hui ma femme me demande si j'ai apporté assez d'argent pour acheter de quoi manger, je n'ai rien à lui dire".