PARIS (Reuters) - Deux juges d'instruction ont ordonné un non-lieu général pour Airbus (PA:AIR) et Air France (PA:AIRF) dans le dossier du crash du vol AF447 Rio-Paris, qui a causé la mort de 228 passagers et membres d'équipage le 1er juin 2009.
Dans leur ordonnance du 29 août, consultée par Reuters, ils rejettent en revanche sur les pilotes la responsabilité de ce crash dans l'océan Atlantique, au large du Brésil.
Les avocats de l’association de familles de victimes françaises Entraide et Solidarité AF447 ont dénoncé jeudi un "déni de justice" et annoncé qu'ils allaient faire appel.
Le parquet de Paris, qui avait requis un non-lieu pour Airbus mais le renvoi d'Air France devant un tribunal pour négligence et imprudence, a également la possibilité de faire appel.
Contactée par Reuters, une porte-parole d'Air France a décliné tout commentaire dans l'immédiat.
La compagnie aérienne française et le constructeur aéronautique européen avaient été mis en examen en 2011 pour "homicides involontaires".
Dans leurs conclusions, les magistrats instructeurs jugent pour leur part que "la cause directe de l'accident est la perte de contrôle de la trajectoire de l'appareil par l'équipage".
"Cette perte de contrôle résulte des actions inadaptées en pilotage manuel" du pilote et de la "surveillance insuffisante du contrôle de la trajectoire" par son co-pilote.
Les "principaux facteurs susceptibles d'expliquer" ce comportement "relèvent des facteurs humains", ajoutent-ils.
L'analyse des autres "facteurs contributifs" relevés par les experts ne conduit en revanche pas, selon eux, à "caractériser un manquement fautif de Airbus ou Air France".
Ils écartent ainsi des causes directes du crash le givrage des sondes chargées de mesurer la vitesse de l'appareil (les sondes Pitot), le traitement des précédents incidents de ce type, la formation des pilotes, la certification de l'avion ou le système de prévention des risques au sein d'Air France.
"Cet accident s'explique manifestement par une conjonction d'éléments qui ne s'était jamais produite et qui a donc mis en évidence des dangers qui n'avaient pu être perçus avant cet accident", ajoutent les deux juges d'instruction.
INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ?
Pour eux, il n'y a donc pas de charges suffisantes contre Airbus et Air France. Des conclusions qui indignent les avocats des familles de victimes, qui espéraient un procès.
"On est manifestement face à un déni de justice et les familles de victimes ont la sensation d'être insultées par l'institution judiciaire. Après le crash du Rio-Paris, on a le crash de l'institution judiciaire", a ainsi dit à Reuters Me Sébastien Busy, un des avocats d'Entraide et Solidarité AF447.
Le Bureau d’enquêtes et d’analyse (BEA) avait établi que l’A330 avait décroché et effectué une chute de trois minutes trente avant de s’abîmer dans l'océan.
Dans un rapport de 2012, il a évoqué une "incohérence temporaire entre les vitesses mesurées, vraisemblablement à la suite de l’obstruction des sondes Pitot par des cristaux de glace", et la déconnexion du pilote automatique. Mais il a aussi mis en cause des "actions inappropriées" de l'équipage.
Pour Me Busy, écarter le dysfonctionnement des sondes comme le font les juges relève d'une "incompréhension du dossier" car "sans givrage des sondes Pitot, il n'y a pas d'accident".
L'ordonnance de non-lieu est "un scandale", a renchéri sur franceinfo son collègue Alain Jakubowicz. "On ne cherche pas à savoir ce qu'il s'est réellement passé (...) Nous sommes tous concernés parce que ce dossier pose le problème de la sécurité dans l'aviation civile."
Il dénonce une décision "guidée par des intérêts économiques supérieurs à ceux de la justice", prise sur la seule base d'une contre-expertise "surréaliste" qui dédouanait Airbus, en contradiction avec le rapport du BEA et une première expertise.
"Que pèsent 228 malheureuses familles, face au fleuron de l’économie nationale que constitue Airbus ?" écrit-il dans un communiqué publié au nom d'Entraide et Solidarité AF447.
Il rappelle que le rival américain d'Airbus, Boeing (NYSE:BA), a cloué au sol ses 737 MAX après une catastrophe aérienne impliquant un de ses appareils et su ainsi reconnaître sa responsabilité.
"Airbus n'a même pas eu un mot pour les familles de victimes en dix ans", a déploré Me Alain Jakubowicz, pour qui il serait "inimaginable qu'on ait un procès avec Air France sans Airbus".
(Emmanuel Jarry, avec Sophie Louet, édité par Elizabeth Pineau)