Les autorités américaines ont engagé des poursuites pénales mercredi contre deux ex-traders de JPMorgan Chase, dont le Français Julien Grout, pour avoir masqué des pertes de 6 milliards de dollars tandis que Bruno Iksil, surnommé la "baleine de Londres", est épargné.
Julien Grout, un trader "junior" qui était placé sous la responsabilité de Bruno Iksil dans le bureau londonien du service d'investissements en propre (CIO) de JPMorgan Chase, était en charge de la préparation des bilans internes quotidiens sur les positions de marchés de son service.
Il est poursuivi par le département américain de la Justice (DoJ) aux côtés de l'Espagnol Javier Martin-Artajo, qui dirigeait la stratégie de courtage de leur équipe, pour avoir falsifié les comptes internes de la première banque américaine afin de masquer leurs pertes dans des achats risqués de dérivés de crédits.
"De mars à mai 2012, Javier Martin-Artajo, en connaissance de cause, s'est entendu avec d'autres pour commettre des actions criminelles contre les Etats-Unis, pour falsifier des comptes et bilans", énonce la plainte du DoJ contre l'Espagnol. Celle contre M. Grout est rédigée de façon similaire.
Le gendarme américain de la Bourse (SEC) a parallèlement déposé une plainte au civil contre les deux anciens employés de JPMorgan Chase "pour avoir comptabilisé incorrectement et frauduleusement des investissements dans un portefeuille de titres dérivés de crédits de plusieurs milliards de dollars afin de masquer des pertes qui auraient atteint des centaines de millions de dollars si ces titres avaient été comptabilisés à leur valeur de marché".
Des positions devenues trop visibles
Il n'était pas encore clair si les deux ex-traders allaient faire l'objet d'un mandat d'arrêt international. M. Grout se trouve actuellement en France où il vit désormais, avait indiqué mardi à l'AFP son avocat, tandis que M. Martin-Artajo, qui réside à Londres, est en vacances dans une destination qui n'est pas connue.
Bruno Iksil en revanche ne sera pas poursuivi, au terme d'un accord à l'amiable signé en juin avec les autorités et publié mercredi, selon lequel il a pleinement collaboré à l'enquête et révélé "des participations" à "la valorisation inexacte de titres de dérivés de crédits qui étaient détenus par JPMorgan Chase entre janvier 2012 et avril 2012".
M. Iksil a longtemps été au centre des attentions dans cette affaire en raison de l'ampleur des paris qu'il avait placés, qui lui avaient valu le surnom de "baleine de Londres", devenu celui de toute l'affaire.
Les positions de M. Iksil étaient devenues trop "visibles" début 2012 dans le marché opaque où les dérivés se négocient de gré à gré. Les autres traders se sont retournés contre lui, forçant la première banque américaine à brader ses positions.
JPMorgan Chase n'a fait aucun commentaire, tout comme le cabinet d'avocats qui défend M. Martin-Artajo, qui avait toutefois affirmé mardi que "lorsqu'une reconstitution complète et juste de ces événements complexes sera finalisée, il sera absous de toute malversation".
L'avocat de M. Grout n'était pas joignable dans l'immédiat. Mardi, il avait affirmé à l'AFP que son client n'avait "rien fait d'illégal". Le bureau du DoJ devrait tenir une conférence de presse sur ces poursuites à 18H00 GMT.
Un autre "Frenchie", l'ancien trader de Goldman Sachs Fabrice Tourre, a été jugé coupable début août de fraude boursière à l'issue d'un procès très médiatisé à New York pour des dérivés de crédits immobiliers à risque ("subprime") vendus à des investisseurs juste avant la crise financière.
Ils rejoignent auprès de Jérome Kerviel, qui avait fait perdre environ 5 milliards de dollars à la Société Générale en masquant des pertes de courtage, les rangs des traders français qui ont fragilisé, à des degrés divers, de grandes banques internationales.
Les pertes de la "baleine" n'ont pas empêché JPMorgan Chase de générer un bénéfice "record" de 21 milliards de dollars en 2012, mais ont terni la réputation jusque là sans tâche de la banque, et surtout celle de son charismatique PDG Jamie Dimon, connu pour son combat contre le renforcement de la réglementation financière, et qui a dû manger son chapeau face à des manquements criants dans les contrôles internes de sa banque.