PARIS (Reuters) - Plus de 14.000 femmes enceintes ont été "exposées" au valproate de sodium, la substance active de l'antiépileptique Dépakine produit par Sanofi (PA:SASY), entre 2007 et 2014 alors que les dangers pour les enfants à naître étaient déjà connus, selon une étude des autorités sanitaires françaises publiée mercredi.
Ces chiffres sont supérieurs à ceux révélés par le Canard Enchaîné début août qui faisait état de 10.000 femmes enceintes concernées par ce qui est qualifié de "scandale sanitaire" par les associations de victimes.
Au total, 14.322 grossesses ont été exposées à l’acide valproïque entre 2007 et 2014, soit environ deux grossesses pour 1.000, selon l'étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).
Les femmes enceintes exposées à l’acide valproïque avaient en moyenne 31,1 ans. Parmi les 8.701 naissances vivantes exposées à l’acide valproïque in utero, 85% ont été exposées au cours des deux premiers mois de grossesse et 88% au cours du premier trimestre.
"Les niveaux d'exposition restent préoccupants malgré une diminution notable de la fréquence d’exposition parmi les femmes enceintes et les femmes en âge de procréer depuis 2007", relève l'étude. Cette baisse "s'explique probablement par un report des prescriptions vers d’autres alternatives thérapeutiques."
"Ces résultats suggèrent que l’application des mesures de réduction du risque doit être renforcée", ajoutent les autorités sanitaires.
Le deuxième volet de l'étude, portant sur les enfants exposés in utero, est attendu pour courant 2017, indique-t-on à l'ANSM.
Dans un communiqué, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, précise qu'un dispositif d'indemnisation des victimes sera voté au Parlement d'ici la fin de l'année.
"SCANDALE"
Selon l'Association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant (Apesac), la Dépakine pourrait avoir fait plus de 50.000 victimes depuis la commercialisation de l'antiépileptique en 1967.
"C'est un scandale d'Etat, scandale sanitaire du laboratoire Sanofi avec la complicité de l'Etat", a dit à Reuters Marine Martin, présidente de l'Apesac, avant la remise du rapport. "Le silence et le mépris du laboratoire à l'égard des victimes est intolérable".
Dans un communiqué transmis à Reuters, Sanofi indique qu'il va analyser les résultats de l'étude et les informations dont il "ne disposait pas jusqu'alors".
Entre 2007 et 2014, "les documents d’information destinés aux professionnels de santé et aux patients indiquaient que la prescription du médicament était déconseillée pendant une grossesse, au regard des risques de malformation pour le fœtus et de retards neurodéveloppementaux", souligne le laboratoire.
"La question plus générale qui se pose est celle de la prise en compte de l’information par les différents acteurs de santé", ajoute-t-il.
En février dernier, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait dénoncé l'"inertie" des autorités sanitaires françaises et de Sanofi face aux risques de la Dépakine et de ses dérivés, qui auraient entraîné 425 à 450 malformations à la naissance.
L'Igas préconisait notamment des inspections de l'ANSM auprès des industriels "afin de vérifier qu'ils remplissent leurs obligations en matière de pharmacovigilance".
Sur le plan judiciaire, le parquet de Paris a ouvert en 2015 une enquête préliminaire sur les conditions d'autorisation et de commercialisation de ce médicament et de ses dérivés, prescrits en France pour le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires.
Les risques "tératogènes" (malformations du foetus, retards neurodéveloppementaux) de la Dépakine ont été établis dès le début des années 1980. Elle a toutefois continué à être prescrite chez les femmes enceintes au regard de son efficacité dans le traitement de l'épilepsie.
(Marine Pennetier, édité par Emmanuel Jarry)