PARIS (Reuters) - L'émergence d'une "tentation terroriste" de l'ultra-droite en France doit être prise au sérieux, malgré l'éparpillement de cette mouvance en une multitude d'associations et groupuscules, estime un rapport parlementaire rendu public jeudi.
Les effectifs de cette nébuleuse sont globalement stables dans le temps. Les militants les plus radicaux seraient entre 2.000 et 3.000, dont un millier "susceptibles de se livrer à des faits de violence", selon le directeur général de la sécurité intérieure, Nicolas Lerner, cité par les auteurs du rapport, les députés Muriel Ressiguier (LFI) et Adrien Morenas (LaRem).
Il s'agit souvent de militants jeunes, majoritairement issus de milieux populaires, avec des cadres et des dirigeants issus de la classe moyenne éduquée, voire de la grande bourgeoisie, et comptant parfois dans leurs rangs des membres actifs ou à la retraite des forces armées, de la police et de la gendarmerie.
Parmi ses recommandations, le rapport suggère d'accorder "une importance particulière au suivi des membres ou anciens membres des forces armées ou de sécurité intérieure" impliqués dans ces groupes.
Le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nunez, distingue les néo-nazis, skinheads, "néo-populistes", ultra-nationalistes et identitaires, dont les "survivalistes" se préparant dans la clandestinité "au cas où (le) pays tomberait dans l’islamisme".
S'ils partagent antisémitisme, islamophobie, homophobie et hostilité à la République, à ses institutions et ses autorités, ces groupes restent très divisés du fait de leurs rivalités.
"L’émergence d’une nouvelle tentation terroriste d’ultra-droite doit toutefois être prise en compte avec sérieux", avertissent les auteurs du rapport. "L'importance de la menace islamiste ne doit pas faire reculer la vigilance quant à celle de l'ultra-droite (...) largement nourrie par la première."
DES THÈSES QUI SE "BANALISENT"
Selon eux, ce "terrorisme d’ultra-droite" cible en particulier les représentants des pouvoirs publics et les personnes de confession musulmane.
En juin et octobre 2018, 16 individus appartenant au groupe Action des forces opérationnelles (AFO), soupçonnés de préparer des violences contre des musulmans, ont ainsi été interpellés.
En novembre de la même année, les forces de l'ordre ont arrêté six personnes affiliées au groupuscule "Les Barjols", soupçonnées d’avoir eu connaissance ou pris part à un projet d’attentat contre le président de la République.
Plus récemment, une cellule soupçonnée de vouloir s'attaquer à des lieux de culte juifs ou musulmans sa été démantelée et cinq personnes mises en examen.
Le rapport met aussi l'accent sur l'utilisation par ces groupuscules des réseaux sociaux, pour tenter d'imposer dans le débat public des points de vue radicaux.
"La propagande des groupuscules d’ultra-droite bénéficie (...) d’une chambre d’écho en pleine expansion", écrivent ses auteurs. "Amplifiées par l’utilisation agile des nouveaux outils de communication, les thèses de l’ultra-droite se diffusent largement et tendent à se banaliser."
Pour Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, cité par le rapport, ces groupuscules sont entrés dans une stratégie d’occupation du terrain et des réseaux sociaux.
EN PREMIÈRE LIGNE
"Ils sont à la recherche de la plus grande exposition médiatique possible. Ce ne sont plus des groupuscules qui se réunissent dans des arrière-salles pour fomenter d’obscurs complots ; ils cherchent désormais à apparaître en première ligne, en première page des journaux et sur internet."
Ils ont aussi recours à de nouvelles stratégies sur le terrain, comme les maraudes sociales et la distribution de soupes populaires organisées par le "Bastion social" et bénéficient d'une plus grande sensibilité du public jeunes aux thèses conspirationnistes.
Une partie au moins de ces groupuscules entretient des contacts avec des groupes étrangers d’idéologie comparable, notamment en Allemagne, en Grèce et en Belgique. Rapprochement également favorisé par les moyens de communication numériques.
Pour le ministère de l'Intérieur, le financement semble être un de leurs points faibles.
"Il n’y a quasiment pas de financements étrangers des groupuscules d’extrême droite", lit-on dans le rapport. "Il s’agit principalement de micro-financement et de financement de proximité : les cotisations des adhérents forment la majeure partie de leur budget."
Cela pourrait cependant changer avec l'utilisation de plateformes de financement participatif. À l’été 2017, Génération identitaire a ainsi levé 200.000 dollars (plus de 150.000 euros) sur une plateforme aujourd’hui fermée pour louer un bateau destiné à empêcher des associations de fournir une aide à des migrants quittant la Libye.
Des informations de presse avaient alors fait état de donateurs appartenant au Ku Klux Klan. Selon le rapport, Génération identitaire aurait également bénéficié d'un don de l'auteur des attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande.
Le rapport propose 32 mesures pour lutter contre les groupuscules d'ultra-droite, comme le renforcement des motifs de dissolution, l'alourdissement des sanctions en cas de reconstitution de groupes dissous, de propos ou gestes haineux et racistes, l'amélioration de l'encadrement des plateformes de financement participatif, ainsi que la levée des obstacles procéduraux favorisant l'impunité des délinquants racistes.
(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)