Supprimer le numerus clausus pour les kinés, permettre d'ouvrir des études de notaires à tout va ou presque, et vendre du paracétamol en supermarché: un rapport confidentiel veut révolutionner les professions réglementées en France.
C'est en mars 2013 que l'Inspection générale des finances, corps d'élite des hauts fonctionnaires français, a rendu un rapport passant au crible 37 professions dites "règlementées", dont l'accès est limité (par des diplômes ou la nécessité de racheter des charges existantes), qui pratiquent des tarifs règlementés et/ou qui ont un monopole pour certains actes.
Parmi elles des professions liées au droit (huissiers, notaires, greffiers de tribunaux de commerce), à la santé (médecins, masseurs-kinésithérapeutes, ambulanciers), mais aussi des métiers plus divers: plombiers, architectes, experts-comptables...
En moyenne, ces professions affichaient en 2010 une rentabilité (bénéfice net avant impôts sur chiffre d'affaires) de 19,2%, soit "2,4 fois la rentabilité constatée dans le reste de l'économie", selon ce texte que l'AFP a pu consulter.
Jusqu'ici, le gouvernement a gardé le texte au secret, même si le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg a déjà annoncé pour la rentrée une loi qui s'en inspirera, destinée à redistribuer "6 milliards d'euros de pouvoir d'achat" en attaquant les "rentes" générées par ces professions, de manière à faire baisser les prix.
Certains extraits sont cependant parus dans la presse.
Pour l'IGF, cette prospérité, très marquée pour certains métiers mais beaucoup moins pour d'autres, dans l'artisanat notamment, "ne s'explique pas toujours par la durée de la formation, l'ampleur des investissements à réaliser ni l'existence d'un risque d'échec économique". Et de livrer plusieurs recommandations pour certaines spectaculaires.
Il faudrait ainsi faire de la libre installation le "principe général" pour les taxis, débits de boissons, huissiers, notaires, pharmaciens, greffiers de tribunaux de commerce, et commissaires priseurs judiciaires, qui n'auraient plus besoin d'une autorisation préalable. L'Etat aurait lui un "droit d'opposition motivé".
- Supprimer des monopoles -
L'IGF veut combattre l'"effet patrimonial": les situations privilégiées pour les professionnels déjà installés, qui revendent leurs charges à des prix très élevés. Ce qui condamne un grand nombre d'aspirants à rester salariés, et génère des "inégalités anormales" selon le texte.
Selon l'IGF, il en coûte 2,2 années de bénéfices pour acheter une charge de notaire titulaire.
Quant à une charge de greffier de tribunal de commerce, la profession règlementée la plus lucrative avec un revenu net mensuel médian de près de 29.177 euros selon l'IGF, il faut débourser l'équivalent de 2,6 années de bénéfices.
Le rapport préconise aussi de ne plus restreindre l'accès d'étudiants aux professions de la santé, sauf pour les médecins généralistes et spécialistes.
Pour les masseurs-kinésithérapeutes, les chirurgiens-dentistes, les infirmiers et les pharmaciens d'officine, le mieux serait une "suppression du +numerus clausus+", pour prendre en compte aussi l'arrivée de diplômés d'autres pays, notamment Belgique, Espagne et Roumanie, Français ou non, dont les formations sont reconnues.
L'IGF souligne ainsi qu'en 2012, 29% des nouveaux chirurgiens dentistes s'inscrivant à l'ordre professionnel en France avaient étudié à l'étranger, une proportion montant à 58% pour les vétérinaires et 56% pour les masseurs-kinésithérapeutes (ce dernier chiffre remontant à 2011).
Parmi d'autres pistes, le rapport propose d'autoriser la vente en grandes surfaces de médicaments dont la prescription est facultative, par exemple des anti-douleur à base de paracétamol, brisant ainsi le monopole des pharmaciens, ou d'élargir la possibilité de prescription de lunettes aux opticiens-optométristes.
Il faudrait aussi selon l'IGF: revoir certains tarifs réglementés (tarifs de postulation des avocats), supprimer le monopole des huissiers sur la signification des actes de justice pour s'inspirer par exemple du système des lettres recommandées, ouvrir à la concurrence les ventes aux enchères, supprimer le monopole des notaires sur la rédaction des actes de publicité foncière, créer un statut de "professionnel de proximité" pour certaines "tâches élémentaires", plutôt que celui d'artisan.
Pour les artisans eux-mêmes, l'IGF propose "d'alléger les contraintes de qualification".
Le rapport souhaite aussi plus de transparence pour les tarifs d'interventions d'urgence des plombiers et serruriers, l'ouverture du capital dans les professions de santé à des investisseurs extérieurs, et recommande de revoir tous les 5 ans l'ensemble des tarifs règlementés, en renforçant dans ce domaine les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence.