Adopté en 2007 pour marquer une "rupture" économique, le "paquet fiscal", cher à Nicolas Sarkozy mais très contesté à gauche, est petit à petit détricoté par le gouvernement et sa majorité, qui assurent vouloir s'adapter à l'après-crise.
"C'est vraiment un quinquennat perdu du point de vue de la fiscalité", déplore Thomas Piketty, professeur à l'Ecole d'économie de Paris.
En quelques semaines, le gouvernement a changé son fusil d'épaule sur des mesures phares du quinquennat qu'il défendait jusque-là bec et ongles: le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt immobilier a ainsi été supprimé et une refonte du bouclier fiscal est désormais à l'ordre du jour pour 2011.
Dans le cadre de la réforme de la fiscalité du patrimoine promise pour l'an prochain, une des pistes évoquées au sein de la majorité est le relèvement des droits de succession, quasiment supprimés par la "loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat" (Tepa) d'août 2007.
Contre l'avis de l'exécutif, l'Assemblée nationale vient d'ajouter à cette liste la niche fiscale permettant de réduire l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en investissant dans une PME. La réduction d'impôt ne portera plus que sur 50% du montant des investissements, contre 75% auparavant.
L'esprit du "paquet fiscal" n'est "pas remis en cause", assure toutefois le rapporteur du budget à l'Assemblée Gilles Carrez. Le député UMP insiste sur la pérennité de deux des principales mesures de la loi Tepa, la défiscalisation des heures supplémentaires et le revenu de solidarité active (RSA).
Gilles Carrez se permet au passage un nouveau tacle au bouclier, qui plafonne l'impôt à 50% des revenus: "on n'aurait pas dû le renforcer en 2007, j'espère qu'on pourra en sortir d'ici le mois de juin".
Pour plusieurs autres membres de la majorité, les revirements en cours sont justifiés par la crise.
"Il est normal que la crise change la donne", estime le président UMP de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée, Pierre Méhaignerie. "Certaines mesures peuvent être adaptées", poursuit-il, "et d'autres doivent absolument rester", comme celle sur les heures supplémentaires, censée mettre en musique le slogan "travailler plus pour gagner plus" du candidat Sarkozy.
Pour le président centriste de la commission des Finances du Sénat, Jean Arthuis, le "principe de réalité" s'est imposé après la crise.
L'exécutif tire aussi, selon lui, les leçons de certaines insuffisances du "paquet fiscal". Par exemple, fait-il valoir, "le bouclier devait permettre à de nombreux contribuables expatriés de revenir en France, mais il ne semble pas que le dispositif ait marché".
Pour Thomas Piketty, économiste classé à gauche, la crise n'explique pas tout. "Les mesures de la loi Tepa étaient inefficaces depuis le début, crise ou pas crise on allait finir par les annuler", assure-t-il. "Cela va un peu plus vite que prévu car la situation budgétaire est catastrophique" et oblige le gouvernement à faire rentrer davantage d'argent dans les caisses de l'Etat, ajoute-t-il.
M. Piketty regrette l'absence de "réforme d'ensemble" de la fiscalité. "On a rajouté des couches de complexité et à la fin du quinquennat on se rend compte que c'était des usines à gaz inutiles, donc on les supprime", accuse-t-il.
Le détricotage en cours répond davantage à l'air du temps qu'à une vraie réflexion sur la cohérence du système, estime pour sa part le président du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi. "Tout ça me paraît plutôt fait dans la précipitation, de manière brouillonne et désordonnée", juge-t-il, pointant les carences de l'évaluation des politiques publiques en France.