"Un bon salaire, dans une entreprise du coin, ça n'existe pas". 25 ans après la chute du Mur, le constat claque dans l'air froid de Prenzlau en ex-RDA, symbole d'une fracture Est-Ouest persistante, malgré des progrès.
Thomas Mielsch, chauffeur routier de 46 ans, sort de l'Agence pour l'emploi de cette petite ville du nord-est de l'Allemagne, à 120 km de Berlin.
Prenzlau jouit d'un triste statut: elle est le chef-lieu de l'Uckermark, région au taux de chômage le plus élevé d'Allemagne, à 14,7% en septembre.
Licencié par son précédent employeur, un transporteur basé en Allemagne de l'Est qui récompensait ses semaines de 60 heures par 1.580 euros nets mensuels, M. Mielsch vient d'être embauché par une entreprise danoise.
"Je vais gagner deux fois plus pour le même travail. Je touche aussi bien plus lorsque je travaille pour une entreprise basée à l'Ouest" de l'Allemagne, explique-t-il en réajustant sa boucle d'oreille.
Difficile de résister à la tentation de partir chercher de meilleurs salaires. "Environ un tiers" de ses amis travaillent à l'Ouest et retrouvent leur famille le week-end.
- Le fossé rétrécit -
Il y a 25 ans, Helmut Kohl avait promis des "paysages florissants" aux citoyens d'Allemagne de l'Est, alors que l'économie de marché remplaçait au pied levé la planification communiste.
Depuis, l'Ouest a versé "entre 1.500 et 2.000 milliards d'euros" pour financer la réunification, estime Thomas Lenk, professeur de finances publiques à l'université de Leipzig. Grâce notamment au "pacte de solidarité", financé par un impôt supplémentaire.
Les anciennes routes défoncées de Prenzlau sont maintenant bitumées, les bâtiments délabrés réhabilités. Mais il est impossible d'y faire sa vie comme développeur informatique ou ouvrier qualifié. A l'Agence pour l'emploi, on oriente plutôt vers "l'agriculture ou le tourisme".
Les faiblesses de l'économie de l'ex-RDA persistent, selon les nombreuses études sur le sujet. Les groupes d'envergure internationale sont restés à l'Ouest, et avec eux les meilleurs emplois et salaires.
"Le processus n'est pas encore bouclé, c'est clair", mais "il y a de la lumière au bout du tunnel", estime Michael Burda, économiste à l'université Humboldt de Berlin. L'hémorragie démographique a cessé: en 2013, les nouveaux Etats ont enregistré plus d'installations de nouveaux habitants que de départs.
Un ménage ouest-allemand dispose toujours de revenus supérieurs d'un tiers à un foyer de l'Est, et son patrimoine pèse plus du double. Aucune entreprise du Dax, indice vedette de la Bourse de Francfort, n'a son siège en ex-RDA.
Mais il y a dix ans, le chômage à l'Est était à 18,4%, deux fois plus élevé qu'à l'Ouest. Le mois dernier l'ex-RDA pointait à 9,7%, contre 6% à l'Ouest.
- Clivage Nord/Sud -
Mais la situation de l'ancienne Allemagne communiste est loin d'être uniforme. Le Brandebourg qui abrite Prenzlau, son voisin le Mecklembourg et Berlin, la capitale "pauvre mais sexy", sont à la traîne. D'autres régions, la Saxe en tête, s'en sortent beaucoup mieux.
Maintenant, à l'image du reste de l'Allemagne, "il y a à l'Est même un clivage Nord/Sud", analyse Michael Burda. Le sud de l'Allemagne industriel et innovant, avec la Bavière et le Bade-Wurttemberg, englobe maintenant aussi la Saxe dynamique, dont les grandes villes Leipzig et Dresde n'ont pas grand chose à voir avec Prenzlau.
Les inégalités Est/Ouest seraient même de plus en plus négligeables par rapport aux clivages classiques villes/campagne, selon plusieurs instituts économiques, et les régions en difficultés ne sont de loin plus l'apanage de l'Est.
Certaines communes de la Ruhr frappées par la désindustrialisation ou certaines régions rurales de Basse-Saxe font face à des défis comparables aux collectivités de l'Est.
A Gelsenkirchen (ouest), où le chômage dépasse 12%, le maire Frank Baranowski déplore que plus de "20 ans après la Réunification les politiques se concentrent toujours sur la reconstruction de l'Est".
Comme lui, beaucoup de politiciens de l'Ouest réclament un programme de "reconstruction Ouest" et la fin des "subventions" réservées aux régions orientales. Gelsenkirchen a déboursé 250 millions d'euros pour l'Est de l'Allemagne au titre du pacte de solidarité.