Le passe Navigo à tarif unique de 70 euros, acquis politiquement avec le soutien du gouvernement, fait le bonheur des élus PS et EELV franciliens mais son financement flou inquiète patrons, usagers et même des élus de gauche.
"Mesure de justice sociale", pour le Premier ministre Manuel Valls, "une révolution pour les franciliens" pour le président de la Région Jean-Paul Huchon (PS), "une victoire pour toute la gauche", selon le chef de file écologiste régional Mounir Satouri: les partisans de cette mesure, promesse commune PS-EELV, ont exprimé leur contentement.
Pourtant le montage financier semble "flou" pour certains, "irréaliste" pour d'autres. Comment expliquer cette défiance ?
Le manque à gagner pour le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif) avait été estimé à environ 500 millions d'euros dans deux études de 2011 et 2012 mais est maintenant présenté à 400 millions par la Région, une évaluation reprise par le gouvernement.
"Les chiffres ont été réévalués, notamment après les épisodes de dézonage", a-t-on expliqué jeudi à l'AFP dans l'entourage de M. Huchon.
Sur cette base de 400 M EUR à trouver, la hausse de la contribution des entreprises devrait rapporter 210 M EUR annuellement. Ce qui a fait bondir le Medef IDF qui demande au gouvernement des garanties sur la "neutralité fiscale" de cette mesure.
Le reste (190 M EUR au mieux) est du ressort de la Région qui a assuré que les dépenses concernant les transports ne seraient pas affectées et qu'elle "trouverait" cette somme "dans le budget de fonctionnement à partir de 2016", par "redéploiement".
Ce qui laisse dubitatifs les observateurs: l'exécutif régional a présenté cette année des orientations budgétaires où les dépenses de fonctionnement devraient baisser "de l'ordre de 1%".
"C'est très lourd 200 millions ! La vérité est que personne ne sait comment cela sera financé", a souligné à l'AFP Laurent Lafon, président du groupe UDI à la Région, rappelant que le budget 2016 devra déjà faire face "à la réforme de la formation professionnelle, aux transferts des nouvelles compétences de la prochaine loi décentralisation et à une baisse de dotation de l'Etat".
- 'Vérité des coûts' -
Valérie Pécresse (UMP) a elle dénoncé "le trou de 340 millions à combler par le successeur de M. Huchon", parlant d'un "véritable cadeau empoisonné".
Signe d'un certain malaise, le Front de Gauche, membre de la majorité régionale et partisan du passe unique, a aussi émis des doutes: "Nous aurions souhaité que cette bonne nouvelle ne soit pas gâchée par un montage financier s'avérant de trop faible portée".
Devant l'"évidence" de la contribution de la Région, le FG met en garde contre toute velléité de l'exécutif de "renoncer à ses politiques sociales pour palier un plan de financement à courte vue".
En pleine disette budgétaire, Marc Pélissier, président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) en Ile-de-France, est aussi réticent: "L'argent ne coule pas à flots et on ne croit pas au Père Noël: une baisse de tarif peut être sympathique mais risque de retarder des projets vraiment utiles pour les usagers".
A titre d'exemple, "500 millions, c'est ce qu'il faudrait pour la convention de financement du projet de tram-train Versailles-Evry" en attente, a-t-il argumenté. Pour lui, "il vaut mieux augmenter la qualité que baisser le prix, ça peut donner l'impression qu'on alignera la qualité sur le prix... par le bas".
Le député (PS) Philippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport en France (Afitf) a aussi mis en garde contre un effet pervers: "la tarification unique ne permet plus à l'usager de percevoir le coût du transport et la valeur du service qui est offert".
Or, la région capitale se caractérise déjà par "le plus faible taux des grandes métropoles mondiales en terme de participation des voyageurs aux dépenses d'exploitation" à savoir "moins de 20%", a abondé Gille Carrez, député UMP du Val-de-Marne et président de la commission des Finances à l'Assemblée Nationale.
"L'idée généreuse mais peu réaliste d'une tarification déconnectée de la vérité des coûts a malheureusement toutes les chances de se retourner contre l’intérêt des usagers", a conclu M. Carrez.