PARIS (Reuters) - L'homme d'affaires Ziad Takieddine affirme avoir remis trois mallettes d'argent libyen à Claude Guéant et à Nicolas Sarkozy avant la présidentielle de 2007, ce que l'ancien chef de l'Etat et son ancien directeur de campagne démentent formellement.
Dénonçant une "manipulation", les avocats des deux hommes ont annoncé des poursuites contre l'intermédiaire franco-libanais.
Dans un entretien filmé accordé au site d'informations Mediapart, diffusé mardi, Ziad Takieddine, mis en examen dans d'autres dossiers, précise que le montant total de ces remises d'argent s'élevait à 5 millions d'euros.
Il s'en prend violemment à l'ancien chef de l'Etat aujourd'hui candidat à la primaire présidentielle de la droite pour 2017, dont le premier tour aura lieu dimanche prochain, auquel il reproche de vouloir briguer un nouveau mandat.
"Pourquoi et comment se fait-il qu'un type comme celui-là puisse prétendre encore une fois à la présidence de la République ? Le peuple français doit réagir, ça va exploser", dit-il dans cet entretien réalisé le 12 novembre.
Ziad Takieddine déclare avoir remis de l'argent à deux reprises en 2006 à Claude Guéant, lorsque ce dernier était directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur qu'était Nicolas Sarkozy, dans son bureau de la place Beauvau, puis une troisième fois, en janvier 2007, au candidat à la présidence en personne, dans l'appartement privé du ministre.
"Nicolas Sarkozy oppose un démenti formel à ces nouvelles allégations", déclare son avocat, Me Thierry Herzog, dans un communiqué. "Des poursuites judiciaires seront donc engagées en réponse à cette manipulation grossière", ajoute-t-il.
PLAINTE EN DIFFAMATION
Le défenseur joint à son communiqué deux extraits d'un procès-verbal d'audition de Ziad Takieddine après une précédente plainte en diffamation de Nicolas Sarkozy dans laquelle l'intermédiaire déclarait n'avoir rencontré l'ancien chef d'Etat qu'à deux reprises, en 2002 et 2003.
Interrogé par Reuters, Me Philippe Bouchez El Ghozi, avocat de Claude Guéant, a lui aussi démenti les propos de l'homme d'affaires et annoncé le dépôt d'une plainte en diffamation.
"Claude Guéant a toujours été très clair. Il n'a jamais de près ou de loin perçu, ou entendu parler du moindre centime d'argent libyen en soutien de la campagne de Nicolas Sarkozy", a-t-il dit. Il l'a maintes fois répété devant la justice".
Une information judiciaire contre X a été ouverte le 19 avril 2013 par le parquet de Paris sur un possible financement libyen de sa campagne en 2007. Elle porte sur les chefs de "corruption active et passive", "trafic d'influence, faux et usage de faux", "abus de biens sociaux", "blanchiment, complicité et recel de ces délits".
Ziad Takieddine avait déjà accusé Nicolas Sarkozy devant la justice ou la presse d'avoir bénéficié de largesses de Tripoli mais il n'avait jamais indiqué avoir lui-même livré de l'argent.
L'un de ses avocats, Jean-Claude Guidecelli, juge ses déclarations à Mediapart crédibles.
"Ça ne s'invente pas. Il se met lui-même dans de sales draps (en avouant avoir transporté l'argent-NDLR) et on peut considérer qu'il a pesé le pour et le contre", a-t-il dit à Reuters.
Ziad Takieddine été mis à plusieurs reprises en examen en France, notamment dans le volet financier de l'affaire Karachi pour laquelle le parquet général de Lyon a requis le 5 novembre son renvoi en correctionnelle avec cinq autres personnes.
"LIBRE DE PAROLE"
Dans son entretien à Mediapart, où il livre un luxe de détails, l'intermédiaire dit avoir "découvert des choses qui ne méritent plus d'être cachées" et avoir remis un mémoire à la justice, raison pour laquelle il se sent "libre de parole".
Prié de dire si Nicolas Sarkozy savait ce que contenait la mallette d'argent qu'il avait déposée dans son bureau, il répond "bien sûr", et ajoute qu'ils avaient parlé de l'affaire des infirmières bulgares détenues en Libye et libérées au tout début du mandat de l'ancien président.
Les faits allégués par Ziad Takieddine ont déjà été évoqués en 2012 par l'ancien chef des services de renseignement et beau-frère de feu le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Abdallah Senoussi, lors de son audition par le procureur général libyen à la demande de la Cour pénale internationale, dit Mediapart.
L'ancien dignitaire libyen y aurait affirmé avoir "personnellement supervisé le transfert" d'une somme de 5 millions d'euros "pour la campagne du président français Nicolas Sarkozy en 2006-2007", écrit le site d'information.
Il précisait que ce transfert avait été réalisé "via un intermédiaire français, en la personne du directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur", donc Claude Guéant, et "un second intermédiaire, le nommé Takieddine, un Français d'origine libanaise installé en France".
(Gérard Bon et Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)