Le compte pénibilité, mesure emblématique de la réforme des retraites de 2014, entre en vigueur partiellement au 1er janvier. Qui est concerné? Pourquoi le patronat proteste-t-il? Le compte sera-t-il modifié?
- Pourquoi ce compte? -
Il doit permettre aux salariés ayant exercé des métiers pénibles de pouvoir se former, travailler à temps partiel ou partir plus tôt à la retraite.
C'est "une avancée sociale majeure" et un "vrai marqueur de gauche", dit-on dans la majorité.
Dès le 1er janvier, les salariés exposés à quatre facteurs - travail de nuit, travail répétitif, en horaires alternants ou en milieu hyperbare (comme les travaux sous-marins) -, auront droit à un compte.
Les six autres facteurs (postures pénibles, manutentions manuelles de charges, agents chimiques, vibrations mécaniques, températures extrêmes, bruit) ne doivent entrer en vigueur que le 1er janvier 2016.
- Comment marche-t-il concrètement?-
Les salariés exposés à un facteur, qu'ils soient en CDI, CDD ou intérim, obtiendront quatre points par an et ceux exposés à plusieurs facteurs, huit points.
Le nombre maximal de points accumulés sur l'ensemble d'une carrière est fixé à 100.
Un point pourra donner droit à 25 heures de formation. Il faudra 10 points pour travailler à mi-temps pendant un trimestre, ou avoir droit à un trimestre d'assurance vieillesse.
Les 20 premiers points seront réservés à la formation.
- Qui est concerné?-
Le compte est réservé aux salariés du privé. Le gouvernement estime qu'il "profitera à près d'un million de salariés dès 2015 et 3 millions dès 2016".
Selon une étude de la Dares (ministère du Travail), qui se fonde sur des seuils "peu contraignants" différents de ceux retenus pour le compte, plus de 8 millions de salariés (40%) ont été exposés à au moins un facteur de pénibilité en 2010. Et 10% étaient exposés à trois facteurs cumulés.
Les ouvriers sont les plus exposés (70%) devant les employés de commerce et de service (48%) et seulement 12% chez les cadres et professions intellectuelles.
Par secteur, la construction est spécialement touchée (66% de salariés exposés), devant l'industrie manufacturière (56%), l'agriculture (52%) ou la santé (42%).
- Pourquoi les patrons grognent-ils? -
Opposées au compte pénibilité depuis le début, les organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) dénoncent une "usine à gaz" et un dispositif "jugé impraticable et kafkaïen par toutes les entreprises".
Leur colère est notamment liée au fait que ce sont les employeurs qui à la fin de chaque année devront recenser leurs salariés exposés et les déclarer. La Fédération française du bâtiment (FFB) affirme notamment que les logiciels de paye, qui permettront ce recensement, ne seront pas prêts au 1er janvier.
Les employeurs devront aussi financer le compte, leurs cotisations étant majorées lorsqu'au moins un salarié est exposé.
Le cabinet d'expert Secafi s'est penché sur la facture pour les employeurs et conclut que le coût direct n'est "pas exorbitant" et "pas de nature à mettre en danger les entreprises". Il rappelle que le dispositif est "incitatif", les cotisations diminuant s'il y a moins de pénibilité.
- Le compte sera-t-il revu? -
La ministre de la Santé Marisol Touraine dit "non", rappelant que "la loi est votée", mais certains de ses collègues du gouvernement semblent moins fermes.
"On ne me fera pas croire que cocher une case sur le bulletin de paye une fois par an pour dire si oui ou non ces personnes sont concernées par les critères de pénibilité, c'est un travail extrêmement difficile", fait valoir Mme Touraine.
De son côté, le ministre du Travail François Rebsamen a rappelé début décembre avoir confié une mission à Michel de Virville, conseiller-maître à la Cour des comptes qui avait établi le mode d'emploi du compte cet été, "pour vérifier si ces facteurs sont applicables". Il rappelle qu'un rapport d'étape doit lui être remis "au mois de mai".
M. Rebsamen aurait même dit au Canard Enchaîné être prêt à supprimer des critères s'ils "s'avèrent inapplicables". Des propos que le ministère ne dément ni ne confirme, mais qui vont dans le même sens que ceux tenus récemment par d'autres membres du gouvernement.
Le président François Hollande a lui-même reconnu en novembre que le sujet était "compliqué", annonçant qu'un chef d'entreprise et un parlementaire plancheraient aussi sur le sujet.