Primes exceptionnelles, indemnités, plus-values... Pour éviter que les contribuables français ne profitent du passage au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu pour faire de l'optimisation fiscale, le gouvernement s'est engagé à mettre en place des garde-fous. Une tâche complexe, et juridiquement risquée.
Une révolution pour les contribuables, et un casse-tête pour l'administration. La réforme fiscale phare du quinquennat Hollande, prévue pour entrer en vigueur le 1er janvier 2018, a fait naître ces dernières semaines une série d'interrogations, chez les syndicats comme chez les agents du fisc.
En cause: l'année de transition avec le système actuel, parfois qualifiée d'"année blanche", qui pourrait s'accompagner d'effets d'aubaine mais aussi ouvrir la porte à des abus, en poussant les ménages à décaler dans le temps leurs revenus.
En 2017, les contribuables paieront en effet leur impôt sur les revenus de l'année précédente, soit 2016. Mais en 2018, les impôts seront prélevés sur ceux de l'année en cours...c'est-à-dire 2018. Les revenus courants de l'année 2017, du coup, ne seront pas imposés.
Dans ce contexte, "ceux qui en ont la possibilité auront tout intérêt soit à anticiper, soit à reculer la perception de certains revenus" (tels que les dividendes, plus-values, indemnités, recettes professionnelles aléatoires...) pour qu'elle tombe en 2017, explique à l'AFP Jean-Pierre Lieb, avocat fiscaliste chez EY.
Un agriculteur qui souhaiterait vendre un stock de blé, ainsi, ne bénéficiera ainsi pas du même traitement selon que la transaction sera réalisée le 30 décembre 2016 ou bien le 2 janvier 2017. "Dans un cas, il sera imposé, et dans l'autre il ne le sera pas", souligne M. Lieb.
"Pour l'Etat, il y a un risque réel de baisse des recettes fiscales", abonde Anne Guyot-Welke, secrétaire générale du principal syndicat des impôts, Solidaires Finances publiques, qui met en garde contre les possibles "effets pervers" du prélèvement à la source.
- "Usine à gaz"? -
Du côté de Bercy, on promet des mesures pour éviter ces stratégies d'optimisation. "Pour ceux et celles qui seraient tentés de concentrer leurs revenus sur l'année 2017, l'administration fiscale proposera des dispositifs dits anti-abus", a ainsi annoncé devant le Sénat le secrétaire d'Etat au Budget, Christian Eckert.
Plusieurs solutions s'offrent au gouvernement. Parmi elles: lister des catégories de revenus qui seront exceptionnellement imposés lors de l'année blanche; ou taxer de manière globale la fraction de revenus supérieure à la moyenne en cas d'écart de revenu important entre l'année blanche et les années précédentes.
"La très grande majorité des Français ne sera pas concernée par ces questions complexes. La majorité de ceux qui s'acquittent de l'impôt sur le revenu présentent des situations simples", insiste M. Eckert.
D'après Bercy, seule une partie des revenus exceptionnels, comme les primes et indemnités, pose problème. Les autres, comme les cessions de titres et les plus-values immobilières, ne sont pas concernés, étant imposés par d'autres moyens que l'impôt sur le revenu -- chez le notaire, par exemple, pour l'immobilier.
"Là où les plus grands risques sont identifiés, c'est sur les dirigeants d'entreprise. Mais il y aura des dispositifs spécifiques", assure le ministère, qui dit privilégier une approche "par nature de revenus", et "au cas par cas", à celle d'une taxation systématique des supérieurs à la moyenne.
Les revenus exceptionnels perçus en 2017, en effet, devront être signalés dans la déclaration d'impôt 2018. Sur cette base, "l'administration pourra poser des questions aux contribuables" et "apporter des corrections" au taux d'imposition appliqué, explique Bercy.
Signe que ces dispositifs "anti-abus" ne sont pas simples à finaliser? Le gouvernement, qui devait transmettre le projet de loi instaurant le prélèvement à la source aux parlementaires mi-juillet, ne prévoit désormais de le faire que fin août, au plus tôt.
"C'est révélateur des difficultés techniques que rencontre le gouvernement", souligne Jean-Pierre Lieb, qui pointe les risques juridiques encourus par la réforme en cas de saisine du Conseil constitutionnel: "tracer la frontière entre un revenu régulier et un revenu exceptionnel est particulièrement délicat".
"La solution retenue sera forcément complexe", déplore pour sa part Anne Guyot-Welke. Qui dit redouter, du fait de l'année blanche, la création d'une "usine à gaz".