Quinze ans après les tempêtes de 1999, la filière bois garde encore des cicatrices du désastre: manques à gagner et forêt modifiée. Et tente de se préparer à d'éventuels nouveaux coups de vent.
"Tout le monde s'imagine que c'est terminé, alors qu'il y a encore des conséquences", explique Marie-Louise Haralambon, maire de Favières (Meurthe-et-Moselle), 600 âmes et autant d'hectares de forêt.
"Il y a toujours une cicatrice", même si elle "s'estompe", raconte l'élue. Avant 1999, un tiers du budget de la commune provenait de la vente de bois. La tempête a fait tomber 80% des arbres, soit 27 années de récolte.
En trois jours, les tempêtes Lothar (26 décembre) et Martin (27-28 décembre) ont détruit 6% de la superficie de la forêt métropolitaine. Soit près d'un million d'hectares, pour 100 milliards d'euros de dégâts, selon l'ONF.
Pendant les dix premières années, Favières a touché des aides de l'Etat pour remettre en état sa forêt.
"Aujourd'hui c'est fini, nous en sommes au moment où l'on se demande comment on va faire" pour continuer une exploitation forestière qui coûte désormais plus qu'elle ne rapporte, s'interroge Mme Haralambon.
Les bûcherons et les scieries des alentours ont disparu.
Globalement, les communes forestières pâtissent encore aujourd'hui de pertes financières liées aux tempêtes.
Même manque à gagner pour l'Office national des forêts (ONF), car le bois qui est tombé "représentait un capital sur pied qui aurait pu être vendu aujourd'hui", rappelle le directeur général Pascal Viné.
A l'échelle du pays, les traces dans les paysages se sont estompées mais restent décelables, car les "nouveaux" arbres sont encore jeunes.
L'ONF a privilégié la "régénération naturelle" de la forêt, qui consiste à l'entretenir pour favoriser la croissance des jeunes pousses d'arbres déjà présentes.
"Les traces d'une tempête durent des décennies (...) Il y a parfois encore des souches retournées, des zones broussailleuses. 15 ans à l'échelle des arbres, ce n'est rien. Dans le Massif Central, on le voit tout de suite", explique François Alric, directrice adjointe de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR).
- Tirer les leçons -
Au total, le déblaiement et la reconstitution des massifs a coûté environ 500 millions d'euros pour la forêt publique. Le coût est plus difficile à évaluer pour la forêt privée, aux propriétaires très éparpillés.
Un quart des propriétaires privés ne se sont pas occupés de leurs forêts après la tempête. Des souches y pourrissent encore parfois.
Certains, après avoir reboisé grâce à des aides publiques, "se sont découragés car ils sont confrontés à une augmentation exponentielle du gibier", qui s'est multiplié dans les zones difficiles d'accès créées par la tempête, explique Luc Bouvarel, directeur général de la Fédération des forestiers privés de France.
Pour les industriels aussi, l'impact est encore sensible.
En Aquitaine, touchée en 1999 puis frappée en 2009 par la tempête Klaus, le problème est que "toutes les surfaces endommagées ne sont pas encore en production", même si 350 millions d'arbres doivent être plantés en huit ans, explique Stéphane Latour, de la Fédération des industries du bois d'Aquitaine.
Car il faut cinq ans pour replanter après une tempête, et 25 ans pour une vraie récolte de bois de qualité.
"On ne reviendra pas à une production correcte avant 2025. Nous avons donc perdu la moitié du stock de bois que nous aurions aujourd'hui s'il n'y avait pas eu ces deux tempêtes", calcule M. Latour.
La filière a tenté de tirer les leçons du désastre, pour que les forêts résistent mieux aux prochaines tempêtes: planter les arbres dans le sens du vent, ne pas fragiliser les racines en passant la débroussailleuse quand le sol est mouillé.
Ou bien diversifier les essences d'arbres, pour profiter de leurs résistances au vent différentes. Une stratégie pourtant peu observée en Aquitaine, où le pin domine.
"On a mis le doigt au moment des tempêtes sur des choses intéressantes, mais on oublie sous la pression de l'industrie qui veut du bois", regrette Pierre Darmanté, président des communes forestières d'Aquitaine.