Avec le temps, Vivek Mehra a bien sûr appris à naviguer à vue dans l'impossible système fiscal indien. Mais, comme tous les hommes d'affaires de son pays, il veut croire que la création historique d'une TVA unique va lui changer la vie.
Cet entrepreneur de New Delhi fabrique, achète et revend des meubles dans diverses régions du pays. Il doit actuellement s'acquitter de taxes aux taux différents chaque fois que ses marchandises passent d'un Etat à l'autre.
Un système qui favorise la corruption, freine les échanges et entrave le développement puisque, dans certains cas, importer des produits peut s'avérer plus rapide et moins onéreux que de les faire venir de l'autre bout de l'Inde.
"Vous vous retrouvez parfois derrière 300 camions qui attendent à la frontière. Un seul papier vous manque et votre marchandise est confisquée", explique M. Mehra dans son atelier de la capitale.
Mercredi, la chambre haute du Parlement a voté la création d'une nouvelle taxe sur les biens et services (GST) qui, en remplaçant une myriade de taxes locales et en faisant tomber les barrières entre Etats, a vocation à créer un véritable marché unique en Inde.
Pour le ministre des Finances Arun Jaitley, il ne s'agit ni plus ni moins que de "la plus importante réforme fiscale depuis l'indépendance", et une indéniable victoire politique pour le Premier ministre Narendra Modi.
La réforme doit permettre de réduire la paperasserie, d'éviter la double taxation et de fluidifier le système fiscal. Certains experts estiment qu'elle pourrait doper de deux points de pourcentage le taux de croissance déjà très fort du pays.
- course contre la montre -
"La consommation va augmenter, la production va augmenter, de même que les investissements dans la production", a prédit le milliardaire Adi Godrej, à la tête du conglomérat diversifié Godrej Group.
"De mon point de vue, c'est la plus grande réforme économique depuis la libéralisation de 1991", a-t-il ajouté en référence à l'ouverture de l'Inde aux investissements étrangers.
Cette réforme a été obtenue de haute lutte par M. Modi, qui a dû composer avec l'opposition du Parti du Congrès. Celui-ci avait pourtant proposé lui-même une TVA unique il y a dix ans mais il a bloqué la réforme fiscale pendant 12 mois avant d'en accepter finalement une version amendée.
Certains experts s'inquiètent toutefois de ce que les concessions faites à l'opposition n'atténuent l'impact économique de la réforme.
Les Etats pourront continuer de taxer l'alcool, l'essence et divers autres produits qui devraient être exclus de la GST.
Une course contre la montre va s'engager car la nouvelle taxe doit entrer en vigueur en avril, quand débutera la prochaine année fiscale. Or la moitié des Etats doivent auparavant avoir ratifié cette réforme pour que le Parlement puisse la promulguer.
Des milliers de fonctionnaires des impôts devront être formés, sans parler des systèmes informatiques de l'administration à mettre à jour et des entreprises à former.
- manque à gagner pour certains Etats -
"C'est toujours mieux d'avoir des objectifs élevés que pas d'objectif", philosophait le ministre Arun Jaitley.
Le taux de cette taxe doit également être déterminé. Les Etats possédant le plus d'industries devraient faire pression pour qu'il soit le plus élevé.
Pour eux, la réforme signifie a priori un manque à gagner car les taxes iront dans les caisses des Etats où les produits sont vendus. New Delhi s'est toutefois engagé à mettre en place un mécanisme de redistribution les cinq premières années.
"Il faut encore attendre les détails et le taux de taxation pour spéculer sur l'efficacité de la GST", relativise Sujan Hajra, de Anand Rathi Securities.
Prakash Tulsiani, cadre dirigeant de Allcargo Logistics, une entreprise basée à Bombay, est convaincu que la réforme favorisera la productivité.
"Nous n'aurons plus à nous inquiéter de la taxation multiple opérée par les différents Etats", a-t-il dit.
Environ 150 pays dans le monde disposent d'une forme de GST ou TVA selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
M. Mehra, qui emploie 200 personnes dans ses ateliers et magasins de Delhi et du Rajasthan, veut croire en la fin annoncée d'un casse-tête sans nom.
"Avec un peu de chance, nous n'aurons plus qu'une administration face à nous. Nous paierons une taxe et ce sera tout", rêve-t-il.