Nouveau contentieux entre Paris et Bruxelles: la Commission européenne demande à la France qu'elle modifie en partie le bouclier fiscal pour en faire bénéficier aussi des contribuables domiciliés hors de l'Hexagone, une exigence que Bercy juge illégitime.
La Commission a envoyé à Paris un "avis motivé", deuxième étape d'une procédure d'infraction européenne, dans lequel elle critique, non pas le dispositif lui-même, qui plafonne les impôts directs à 50% des revenus d'un contribuable, mais ses modalités d'application.
Bruxelles estime que "certains aspects de son application sont contraires au droit européen, notamment en ce qui concerne les personnes pouvant bénéficier du bouclier fiscal et les impôts pris en compte dans son calcul".
Dans le détail, elle juge le bouclier fiscal inéquitable, en ne bénéficiant pas aux personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France, quand bien même elles perçoivent l'essentiel de leurs revenus en France.
Cette limitation "va à l'encontre de la libre circulation des personnes et travailleurs", selon la Commission.
A Bercy, on souligne que "dans les faits", même si ce n'est peut-être pas traduit dans la loi, les résidents fiscaux français bénéficient bien tous du bouclier fiscal.
Par ailleurs, la Commission déplore que les impôts pris en compte dans le "bouclier fiscal" sont uniquement ceux payés dans l'Hexagone, ce qui peut avoir pour conséquence d'influencer des choix d'investissement et donc contrevenir à la libre circulation des capitaux.
Si les impôts payés hors de France étaient pris en compte dans le calcul, "cela amènerait en gros l'Etat français à rembourser aux contribuables un morceau d'impôt qu'ils ont payé hors de France", s'est défendu jeudi la ministre de l'Economie, Christine Lagarde.
"Je peux comprendre la logique communautaire" mais, a-t-elle insisté, "ça ne me parait pas tout à fait légitime".
Autre critique de Bruxelles: l'application du dispositif de plafonnement prévu pour l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui a pour but d'éviter que le total formé par cet impôt et l'impôt sur le revenu n'excède 85% des revenus nets imposables du foyer fiscal.
"L'application de ce plafonnement contrevient au droit européen de la même manière que le bouclier fiscal, dans la mesure où le plafonnement ne s'applique qu'aux personnes domiciliées en France", explique la Commission.
"Ce que dit Bruxelles, c'est en gros, que le bouclier devrait s'appliquer de manière plus large", indique-t-on dans l'entourage de Christine Lagarde. "Or ce n'est pas vraiment l'état d'esprit actuel, et le bouclier n'est certainement pas fait pour empêcher une sur-imposition à l'étranger", fait-on valoir.
La France dispose maintenant d'un délai de deux mois pour modifier sa législation, faute de quoi la Commission pourra décider de saisir la Cour de justice européenne. Mais Paris n'entend pas céder: Mme Lagarde a annoncé que la France allait déposer un "recours" contre les exigences de la Commission.
Elle a toutefois reconnu que la situation prouvait que le bouclier fiscal, "qui a été mis en place de manière tout à fait légitime", devait "être revu en profondeur".
Le président Nicolas Sarkozy a récemment annoncé son intention de remettre à plat la fiscalité du patrimoine au cours du premier trimestre de l'an prochain, au nom de "la convergence fiscale" avec l'Allemagne qui n'a ni bouclier fiscal ni ISF.
Mesure phare du "paquet fiscal" adopté en 2007, le bouclier fiscal était défendu jusque récemment sans concession par le président de la République malgré les critiques de plus en plus nombreuses à droite comme à gauche.