Mise sous pression pour éponger avec ses partenaires européens les surcoûts de l'avion de transport militaire A400M, l'Allemagne résistait mercredi, dans un contexte intérieur peu propice à de lourds investissements dans la défense.
Avec 60 appareils, Berlin a passé la plus lourde de toutes les commandes pour l'appareil du groupe aéronautique EADS et de sa filiale Airbus, qui doit permettre aux Européens de projeter leurs forces pour leurs missions à l'étranger.
La France arrive juste derrière avec 50 appareils, puis la Grande-Bretagne avec 25 exemplaires, sur un total de 180 avions commandés.
Pourtant, des sept pays clients (Allemagne, France, Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Turquie et Luxembourg), c'est bien l'Allemagne qui paraît la moins empressée à sauver ce programme lancé en 2003 pour un coût initial de 20 milliards d'euros, mais qui a des années de retard et dont le budget explose.
Le patron d'Airbus, Thomas Enders, demande aux clients de partager la charge des dépassements de budget. A en croire la presse allemande, il aurait dit publiquement ne "plus croire à une poursuite du programme", des propos destinés à faire monter la pression, et particulièrement sur l'Allemagne.
Or cette dernière, selon le quotidien Handelsblatt, est prête à payer seulement 650 millions d'euros supplémentaires, alors qu'EADS aurait réclamé aux Etats une rallonge totale de 5 milliards d'euros.
Le ministre de l'Economie allemand Rainer Brüderle a dit mercredi à la radio Deutschlandfunk qu'une "solution sensée pouvait être trouvée", alors qu'EADS et les Etats ont jusqu'au 31 janvier pour renégocier le financement. Mais "mendier auprès des Etats est la solution de facilité", a-t-il toutefois asséné.
Si la France par exemple a affirmé par la voix du ministre de la Défense Hervé Morin qu'elle "n'envisageait pas" un échec, Berlin est plus tiède.
Un porte-parole du ministère allemand de la Défense a dit mercredi qu'il "s'agissait en première ligne d'arriver à ce qui est prévu par le contrat, c'est-à-dire à une production de l'avion. Mais nous réfléchissons constamment aux autres options possibles," dont un abandon.
Le gouvernement de droite d'Angela Merkel fait face à un contexte très hostile à des dépenses pharaoniques dans le domaine militaire.
L'équipe gouvernementale, composée du parti conservateur et du parti libéral, a déjà les plus grandes peines du monde à se mettre d'accord sur un programme de baisses d'impôt.
Par ailleurs, Berlin est empêtré depuis des mois dans une enquête sur un bombardement meurtrier en Afghanistan demandé par un de ses officiers.
"Les projets militaires de grande envergure sont de moins en moins bien vus. En France, la satisfaction de posséder sa propre technologie joue un rôle beaucoup plus important qu'en Allemagne, et l'armée y jouit d'une meilleure image", a expliqué Klaus-Heiner Röhl, expert aéronautique de l'institut allemand d'études économiques DIW, à la chaîne de télévision n-tv.
Il semble peu probable toutefois que l'Allemagne se risque à porter la responsabilité d'un échec du programme A400M, et l'opposition de gauche appelle l'équipe Merkel à lâcher du lest.
"Nous aussi avons intérêt à ce que ce projet aboutisse", a rappelé Rainer Arnold, expert en questions militaires du SPD, à la radio WDR, ajoutant: "il s'agit aussi d'emplois: 40.000 au total, plus de 10.000 en Allemagne."
"L'idée était et reste que les pays européens ont tout intérêt à ne pas être dépendants des partenaires américains dans l'aéronautique", a-t-il indiqué.
Sans compter que Berlin, s'il renonce à l'A400M, devra de toute façon trouver une solution pour remplacer ses avions Transall vieillissants.