En Afghanistan, du carburant militaire importé est vendu hors taxe sur le marché au nez et à la barbe du gouvernement, ainsi privé de précieuses recettes fiscales et contraint de continuer à dépendre de l'aide étrangère.
Le carburant, théoriquement destiné à l'Otan et aux forces de l'ordre afghanes, se retrouve vendu dans des dépôts d'approvisionnement pour stations-services et autres agents commerciaux, reconnaissent des responsables du secteur.
Des journalistes de l'AFP l'ont constaté de visu en accompagnant un inspecteur gouvernemental lors d'une visite inopinée dans l'un de ces dépôts, où il s'est rendu flanqué d'un groupe d'assistants et de gardes du corps.
Parmi les documents de douane qu'il a demandé à examiner figurait un "maafinama" fourni par un chauffeur de camion-citerne, c'est-à-dire un certificat d'exemption de taxes pour du carburant militaire importé du Turkménistan pour le compte du ministère afghan de l'Intérieur.
Grâce au "maafinama" le prix de la tonne de fuel est réduit de 200 dollars par tonne. Or ce privilège est censé être réservé au carburant destiné aux troupes étrangères et aux ministères afghans de la Défense et de l'Intérieur, selon un accord passé entre l'Otan et le gouvernement.
- Certificats revendus -
Plus d'un million de tonnes de carburant militaire a été importé l'an dernier en Afghanistan, ce qui représente environ 100 millions de dollars de ristourne fiscale, selon le ministère des Finances.
"Le mécanisme d'exemption de taxe (...) pour les forces internationales a conduit à des abus de la part des marchands de fuel, qui en profitent de manière illégale", note dans un récent rapport un comité indépendant de suivi de la corruption (MEC).
Selon ce rapport, qui sera publié mardi, 20 entreprises commerciales ont obtenu des certificats d'exemption fiscale l'an dernier.
"Certaines entreprises en possession de certificats légitimes les ont vendus à d'autres compagnies", note le rapport, expliquant comment une denrée aussi stratégique se retrouve ainsi sur le marché.
Contacté par l'AFP, l'Otan s'est refusé à tout commentaire. Les ministères de la Défense et de l'Intérieur n'ont pour leur part pas répondu à des requêtes similaires.
Le vice-ministre adjoint en charge des douanes, Shafiq Qarizada, a de son côté déclaré à l'AFP "ne pas être en mesure de confirmer ou de démentir" la présence de carburant exempté de taxe sur le marché commercial.
- Lassitude des donneurs -
Ces abus surgissent alors qu'une importante conférence doit rassembler début octobre à Bruxelles les pays donateurs à l'Afghanistan pour confirmer le programme d'aide aux civils sur les 4 prochaines années.
Kaboul fait face à ce que les spécialistes appellent "la lassitude des donneurs", fatigués de voir leur argent capté par des criminels ou des corrompus.
L'abus d'exemptions fiscales se répercute aussi sur les entreprises locales, qui souffrent de cette concurrence déloyale. Le coût du carburant exempté est inférieur d'au moins 12% à celui du marché.
"Les maafinamas ont contaminé le marché commercial", souligne l'inspecteur rencontré par l'AFP.
"Comment un vendeur payant ses taxes peut-il faire face à la concurrence du carburant exempté moins cher ? Cela étouffe les entreprises respectueuses de la loi et encourage le trafic de fuel", poursuit-il. "Et cela se traduit par des millions de pertes en recettes douanières".
Ce trafic peut aussi avoir des répercussions sur le terrain militaire, le carburant pouvant venir à manquer aux bases les plus éloignées des grands centres.
Face à cette situation, l'Otan et le ministère des Finances discutent des moyens de contrer ces abus, selon plusieurs sources. L'une des pistes envisagées serait de taxer le carburant militaire et de rembourser ensuite les accises une fois qu'il est livré.
Mais ce projet de réforme, bien que bénéficiant d'un large soutien, reste en panne, note le rapport du MEC. "Pourquoi ? Peut-être ce retard est-il dû à un nouveau cas de corruption ?" s'interroge-t-il.