Lire, relire, décortiquer, expliquer, interpréter... Pour les avocats spécialisés dans le droit du travail, les ordonnances réformant le code du travail tiennent autant de la routine que du défi intellectuel.
Il y a d'abord eu ces mois d'incertitude durant lesquels l'annonce d'une grande réforme du code du travail agitait le petit monde des avocats spécialistes de la question. Fin juin, la loi d'habilitation en a d'abord dessiné les contours, avant que les ordonnances ne soient enfin dévoilées le 31 août.
"Dès que les ordonnances sont parues, nous avons commencé à les éplucher en long, en large et en travers", explique Me Patrick Thiébart, du cabinet Jeantet (côté entreprises). "Nous y avons consacré la fin de semaine et le week-end, et nous allons sûrement être amenés à les lire et les relire car des détails ont pu nous échapper".
Chez Fidal, qui compte près de 300 avocats spécialistes du droit du travail, une partie des associés planchent sur les nouveaux textes en vue d'établir "la doctrine du cabinet sur la question", rapporte Me Sylvain Niel.
De son côté, Me David van der Vlist, qui défend les salariés, "essaie de décortiquer tout, sachant que tout change dans énormément de domaines : indemnités de licenciement, licenciement économique, représentation du personnel... ça suppose de réapprendre totalement la matière".
Ce qui ressemble à un branle-bas de combat fait presque partie de la routine, d'après Me Géraldine Kespi-Bunan. "Même si elles n'ont pas toutes autant de publicité que celle-ci, des réformes du code du travail on en a tout le temps", constate cette associée de KBS Avocats qui conseille entreprises et salariés.
"Il y a eu la loi de sécurisation de l'emploi de 2013, la réforme de la formation professionnelle de 2014, la loi Macron de 2015 qui a modifié le travail de nuit et le travail dominical", énumère Me van der Vlist. "Puis la loi Rebsamen a chamboulé toute la question des relations collectives de travail, et l'an dernier c'est la loi travail qui en remettait une couche".
"Résultat: nombre de syndicalistes et de DRH ne savent plus où on en est en matière de droit du travail", observe Me Van der Vlist, qui reconnaît qu'"avocats et magistrats" peinent, eux aussi, à s'y retrouver.
Avec les ordonnances, "on n'est pas dans la simplification, juge Me Thiebart. Mais on n'aura jamais un code du travail de 100 pages, on n'est pas au Japon." Cette complexité implique donc un intense travail explicatif à destination des clients, intéressés, curieux ou inquiets selon leur situation.
- Temporiser ou hâter les procédures ? -
Dès fin septembre entreront en application des mesures relatives au barème d'indemnisation prud'homale et au périmètre d'activité pris en compte pour procéder à des licenciements économiques. Pour d'autres, il faudra patienter quelques mois. Une temporalité différée qui implique des stratégies.
"A un certain nombre de clients qui souhaitaient procéder à des réorganisations d'entreprise, j'ai recommandé d'attendre que les ordonnances entrent en vigueur", admet Me Thiébart
“Il y a déjà un effet d'aubaine, avec des entreprises qui voient l'évolution du droit du travail et qui se mettent à retarder des licenciements", confirme Me Van der Vlist. Pour les salariés en revanche, l'avocat "conseille de saisir au plus vite les prud'hommes, pour ne pas prendre le risque de se voir appliquer le nouveau texte".
Particularité de cette réforme, le recours aux ordonnances impose une célérité inhabituelle : "Il va falloir nous préparer très vite, car nous devrons très rapidement savoir ce qu'on va pouvoir se dire et comment se le dire", estime Me Thiébart.
Pour les spécialistes du droit social, le travail ne fait que commencer. "Ce n'est que l'acte 1 d'une pièce qui se joue en quatre actes", développe Patrick Thiébart. "Bientôt viendra la réforme de l'assurance chômage, puis la formation professionnelle et enfin les retraites. Nous allons rester sur le pont encore un bon moment."