Une fumée noire s'élève devant l'usine Whirlpool d'Amiens dans le nord de la France, alimentée par ses salariés grévistes qui observent, désabusés, la campagne présidentielle, alors que leurs emplois vont être délocalisés en Pologne.
Il y a neuf jours, les deux finalistes du scrutin qui se jouera dimanche, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, se disputaient le terrain.
La dirigeante d'extrême droite avait rendu une visite imprévue aux salariés en grève, se faisant photographier pendant une dizaine de minutes à leur côté sur le parking, certains pleurant d'émotion.
Le centriste, natif d'Amiens, qui rencontrait au même moment une délégation de syndicalistes en centre-ville s'était rendu ensuite sur le site, accueilli par des huées et des sifflets, avant un dialogue vif avec les salariés.
Employée de l'usine depuis près de vingt ans, Corinne Bizet, 49 ans, ne se fait aucune illusion. "Ils sont venus chercher des voix et nous faire des promesses. C'était un coup de pub", juge-t-elle devant la tente installée par les employés, sur le parking de l'usine enfumé par des pneus qui se consument.
Dans cette région frappée par de nombreuses fermetures de sites industriels, le géant américain de l'électroménager a décidé de délocaliser en Pologne et de fermer l'usine qui emploie 290 personnes et fait travailler de nombreux sous-traitants.
Amiens, qui compte 130.000 habitants, avait déjà perdu plus de mille emplois quand l'usine de pneus Goodyear a fermé en 2014.
Les Français doivent décider le 7 mai qui succèdera au président socialiste François Hollande à la tête du pays. Les sondages donnent M. Macron vainqueur, avec 60% des suffrages. Qualifiée face à lui avec un score "historique", la candidate anti-Europe et anti-immigration est arrivée en tête dans la région au premier tour.
Mercredi soir, le dossier Whirlpool a ressurgi dans le virulent débat télévisé de l'entre deux tours, suivi par près de 16,5 millions de Français.
- 'Sur le carreau' -
Celle qui se présente comme le porte-drapeau des "travailleurs" a accusé son adversaire d'être "méprisant avec les salariés de Whirlpool" et de sacrifier leur sort à la "loi du plus fort".
"Je n'ai jamais fait ce que vous avez fait, profiter de la détresse des gens", a rétorqué Emmanuel Macron, en l'accusant de se contenter de "faire des selfies" avec les salariés.
"La fermeture des frontières, c'est une promesse mensongère", avait-il déjà martelé lors de sa rencontre avec les salariés.
A l'appui, il avait cité l'exemple de l'usine voisine de détergents du géant américain Procter&Gamble, qui emploie plus de 1.000 personnes et exporte 90% de sa production à travers l'Europe. Un message auquel est sensible David Gallopin, employé de Whirlpool, dont le fils travaille... chez Procter&Gamble.
Cet homme de 49 ans compte sur sa promesse de faire en sorte que Whirlpool offre à ses employés un bon plan social, s'il est élu: "Macron a dit qu'il ne nous laissera pas tomber, j'espère qu'il va tenir parole".
Il ne croit pas à la sortie de l'Europe envisagée par Mme Le Pen mais estime qu'il y a "des règles à changer": "Il faut arrêter toutes les délocalisations ou alors il faut au moins que les entreprises paient et ne laissent pas les gens sur le carreau".
Corinne Bizet, elle, a des doutes sur la sortie de l'euro prônée par l'extrême droite: "Les choses ne vont pas devenir moins chères juste parce qu'on remet le franc. On ne peut pas revenir en arrière", dit-elle. Mais elle approuve son projet de taxation des importations d'entreprises qui délocalisent.
Inquiète pour son travail, elle ne croit pas pour autant M. Macron: "C'est un homme qui n'a pas de coeur. Il est froid, il est venu seulement parce qu'elle est venue", souligne-t-elle.
Face à ce qu'il considère comme l'impuissance des politiciens français face aux multinationales et à l'Union européenne, Tonio Abenhosa, un des responsables syndicaux de l'usine, va, lui, voter blanc: "On ne récupérera nos droits que par la révolution".