par Gregory Blachier
PARIS (Reuters) - Pour Dominique Goubault, patron d'imprimerie, le maintien des effectifs à 49 salariés a contribué à la survie de son entreprise. Jean-Baptiste Danet, directeur de l'agence de design Dragon Rouge, estime le coût d'un passage à 50 personnes à quatre postes à temps plein.
Alors que reprend jeudi la négociation sur la modernisation du dialogue social, ils voient dans les "seuils sociaux" une barrière à faire tomber au nom de l'emploi et de la compétitivité.
La question des seuils, qui instaurent une progressivité des obligations des entreprises à l'égard de leurs salariés, est devenue le symbole de la joute entre patronat et syndicats, quand bien même elle n'est qu'une facette du dialogue social.
Mais le gouvernement lui-même a mis le pied dans la porte quand ce sujet n'était pas prioritaire pour le patronat. Medef, CGPME et Union professionnelle artisanale (UPA) ont suivi et proposent, d'une même voix, des conseils d'entreprise uniques et à partir de 50 salariés.
"Quand on regarde les chiffres entre les entreprises de moins de 50 et de plus de 50 salariés, on voit qu'il y a une inquiétude, un frein énorme", avance Jean-Baptiste Danet, vice-président de l'organisation Croissance Plus.
Selon la CGPME, le passage de 49 à 50 salariés déclenche 35 obligations supplémentaires et représente une majoration du coût de l'heure travaillée de plus de 4%. En 2012, elle comptait 1.600 sociétés de 49 employés contre 600 de 50 salariés.
"Passer le seuil de 50 salariés, c'est l'équivalent de quatre postes à temps complet", affirme Jean-Baptiste Danet, énumérant "six réunions supplémentaires par mois entre comité d'entreprise, comité d'hygiène, négociation annuelle, etc."
Ces trois éléments apparaissent au cinquantième salarié, en même temps qu'augmente le crédit d'heures des délégués du personnel (de 10 heures à 15 par mois) ou que s'impose une déclaration mensuelle des mouvements de personnel.
"Et vous devez aussi avoir des locaux, un réfectoire (à partir de 25 salariés). Et ça, c'est le tout venant, sans parler des années électorales", insiste Jean-Baptiste Danet.
"Le seuil de dix ou onze salariés, il est contraignant mais le patron peut encore le gérer. A partir de 20 et 25, ça devient infernal. Et le seuil de 50 nécessite une structure: si vous voulez le passer, il vous faut un service ressources humaines."
3,5% DE LA MASSE SALARIALE
Les obligations augmentent encore à 51 salariés, 100, 200 et au-delà. Selon la Commission européenne, l'Allemagne comptait 55.510 PME ou Entreprise de taille intermédiaire (ETI) de plus de 250 salariés en 2013, contre 21.418 en France.
"Je regarde dans les autres pays, je n'ai pas les mêmes obligations", dit Jean-Baptiste Danet, dont le groupe compte 165 salariés en France pour un total 320 dans le monde.
Mais il reconnaît que le sujet n'aurait que peu d'impact sur l'emploi et évoque plutôt la compétitivité. "Embaucher, ce n'est pas la question. Mais ça permet d'investir ailleurs", dit-il.
Dominique Goubault tient un discours différent, imputant à l'effet de seuil le non-développement de son entreprise.
"J'ai été tenté plusieurs fois d'embaucher un 50e salarié", dit. "Mais quand on voit le coût -3,5% de ma masse salariale- et les obligations, on se demande quel est l'intérêt."
Sa réflexion fait écho à une étude contestée de l'iFRAP, un think-tank libéral qui évoquait en 2012 un bénéfice de 70.000 à 140.000 emplois en supprimant les seuils.
L'iFRAP dit se fonder sur une précédente étude, réalisée par l'Insee, mais il en fait une lecture partielle, voire partiale, selon Bruno Ducoudré, économiste à l'OFCE.
"L'Insee étudie différentes sources d'évolution de l'emploi en fonction de la taille des entreprises et dit, sur les sources fiables, on ne voit pas d'effet, et sur la source moins fiable, on voit un effet. L'iFRAP utilise cette source", dit-il.
UN EMPLOI CHASSE L'AUTRE
"On se trompe de diagnostic parce que depuis 2008, ce qui a augmenté, c'est le chômage conjoncturel, lié à un déficit d'activité, un manque de demande", observe l'économiste, pour qui le choc d'une réforme des seuils serait donc insuffisant.
Son collègue Gérard Cornilleau va plus loin et prévient: dans un contexte morose, un emploi chasserait l'autre.
"Les entreprises sont victimes d'un effet d'optique, elles voient midi à leur porte et peuvent être de bonne foi", dit ce spécialiste du marché du travail et des politiques sociales.
"Mais la petite entreprise qui est déjà efficace, si elle embauche parce qu'on a allégé les contraintes, elle va supprimer un emploi chez un concurrent. L'approche micro-économique amène à dire qu'on va créer de l'emploi, mais l'approche macro nous montre les emplois supprimés ailleurs."
Tous deux reconnaissent que les seuils ont un coût, mais jugent les règles nécessaires. D'autant que la CFDT pointe un déficit de représentation: 63% des entreprises de 11 à 19 salariés n'ont pas d'instance, et 35% de celles de 20 à 49.
"Tout ce qui peut simplifier les règles sans enlever le contenu est important", dit Gérard Cornilleau. "Mais on ne peut pas vouloir que les salariés s'impliquent, soient productifs et d'un autre côté dégrader les conditions de travail."
Le chef d'entreprise Jean-Baptiste Danet ne dit pas autre chose. "Qu'il y ait des règles de surveillance, d'éthique, de respect des collaborateurs, c'est normal. Même pour nous, pour prendre la température de l'entreprise, c'est important."
(Avec Nicholas Vinocur et Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)