Le gendarme boursier français (AMF) a infligé une amende record de 8 millions d'euros à LVMH pour être entré masqué au capital de son concurrent Hermès, une annonce qui fin 2010 avait fait l'effet d'un séisme dans le monde feutré du luxe.
LVMH, propriétaire de Louis Vuitton, Céline et autre Guerlain, se voit ainsi condamné à la plus forte amende jamais prononcée par la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Décidée le 25 juin, elle a été annoncée seulement lundi par communiqué.
Son montant est toutefois inférieur aux 10 millions d'euros que le collège de l'AMF avait requis le 31 mai à l'encontre de LVMH, lors d'une audience publique où le groupe dirigé par Bernard Arnault avait contesté pied à pied tous les arguments développés contre lui.
Sitôt la sanction annoncée, LVMH a indiqué qu'il allait saisir la Cour d'appel de Paris afin de rétablir la "réalité des faits". "Le principe même de la sanction, et plus encore le montant de celle-ci" sont "totalement injustifiés", a estimé le groupe dans un communiqué, en contestant "fermement" tout manquement d'information au marché.
L'amende prononcée ne remet "aucunement en cause la légalité de l'opération annoncée le 23 octobre 2010", insiste le groupe. Ce jour-là, LVMH avait révélé à la stupéfaction générale détenir 14,2% et bientôt 17,1% de Hermès, coté en Bourse depuis 1993 mais détenu en majorité par les héritiers du fondateur Thierry Hermès.
Hermès n'a depuis lors cessé de batailler contre le géant du luxe, barricadant la majorité de son capital dans une holding-forteresse puis multipliant les démarches en justice pour faire entendre sa voix. Objectif ultime: obtenir l'annulation des instruments financiers utilisés par LVMH pour entrer en force dans son capital. Après une plainte auprès du parquet de Paris, le fabricant des carrés de soie et des sacs Birkin vient d'assigner LVMH devant le Tribunal de commerce.
"Cette décision est conforme aux positions de Hermès", se félicitait-on lundi soir dans l'entourage du sellier.
Sans impact sur les finances de LVMH
Pour LVMH, la sanction de 8 millions d'euros prononcée par l'AMF, "si elle est confirmée, aura peu d'impact sur les finances" du groupe, relève Serge Carreira, spécialiste du luxe et professeur à Sciences Po interrogé par l'AFP. LVMH a engrangé en 2012 quelque 3,43 milliards d'euros de bénéfice net pour un chiffre d'affaires de 28,1 milliards.
"Néanmoins cela entacherait quelque peu l'image du groupe", relève M. Carreira, en soulignant aussi que "c'est une histoire franco-française, pas un évènement international".
Selon l'AMF, qui a souligné "la gravité de manquements successifs à l’obligation d'information du public" de la part de LVMH, le groupe a masqué "toutes les étapes" de sa montée au capital de Hermès et contourné "l'ensemble des règles destinées à garantir la transparence indispensable au bon fonctionnement du marché".
LVMH a eu recours à des produits financiers dérivés (ELS, equity swaps) dans cette opération, qui lui ont permis d'accumuler 17% du capital d'Hermès sans avoir à informer les autorités boursières du franchissement de plusieurs seuils réglementaires. Par la suite, le numéro un du luxe était monté à 22,6% du capital.
L'AMF reconnaît que, "pris isolément", les différents éléments du montage ne sont pas condamnables comme tels mais met l'accent sur l'intentionnalité: si l'on procède à "une approche globale de l’opération (...) la seule recherche d’un profit financier (rend) difficilement explicables les modalités particulières de conclusion de ces contrats" d'ELS.
Dans son communiqué lundi, LVMH affirme de nouveau n'avoir pris que le 21 octobre 2010 la décision de dénouer ses ELS en titres Hermès plutôt qu'en cash et avoir "aussitôt" informé le marché, avec une annonce faite deux jours plus tard.
Il avait tenté d'obtenir une nullité de la procédure de l'AMF, arguant de "graves irrégularités", mais la Commission des sanctions de l'organe a souligné lundi n'avoir rien à y redire.
Pour l'AMF, il s'agissait d'un dossier emblématique, probablement l'un des plus médiatisés de ces dernières années. Le gendarme boursier y jouait une partie de sa crédibilité, surtout depuis ce que certains avaient considéré comme un fiasco, lorsque fin 2009 elle avait blanchi 17 personnes soupçonnées de s'être enrichies indûment, grâce à des informations privilégiées concernant le groupe EADS.