Le compte est simple pour Tatiana Tchernetskaïa: son entreprise informatique à Simféropol a perdu tous ses clients depuis l'annexion de la Crimée par la Russie, synonyme d'isolement économique pour la péninsule ukrainienne.
En un an, les sanctions occidentales ont fait fuir les multinationales, provoquant la fermeture des fast-food McDonald's ou des stations service Shell et paralysant les échanges bancaires internationaux. Les activités locales des grandes entreprises ukrainiennes ont été confisquées par les nouvelles autorités.
Pour l'éditeur de logiciels de comptabilité de Mme Tchernetskaïa, il est désormais impossible de recevoir de l'argent du territoire ukrainien ou même de passer des appels téléphoniques dans cette direction. Les quelques clients de la société en Crimée, surtout des structures gouvernementales, ont été contraintes de passer à des logiciels russes.
Aucune aide n'a été fournie aux entreprises pour s'adapter à la législation et aux règles comptables russes.
Après avoir perdu ses 3.000 clients, la chef d'entreprise a donc licencié la plus grande partie de ses 55 employés, n'en gardant que cinq. Dans ses bureaux, des cartons de paperasse désormais obsolète attendent d'être débarrassés.
"C'est comme si j'avais fui pour me réfugier dans un nouveau pays et recommencer ma vie à zéro", confie Tatiana Tchernetskaïa.
Elle envisage d'émigrer en Pologne. Mais elle ne regrette pas d'avoir voté en faveur du rattachement à la Russie, rejetant la responsabilité de ses difficultés sur les sanctions occidentales et les autorités locales corrompues. Sur les murs de ses bureaux, une photographie de Vladimir Poutine côtoie les tableaux qu'elle peints.
"Mon entreprise est en train de mourir... mais ce n'est pas la faute de Poutine, c'est la vie", soupire-t-elle.
Lorsqu'ils ont voté massivement pour rejoindre la Russie, nombre d'habitants de Crimée espéraient un avenir économique plus rose qu'en Ukraine, pays au faible niveau de vie et aux crises économiques et politiques récurrentes.
Mais entre le blocus imposé par Kiev (transactions, communications, liaisons ferroviaires...) et les sanctions occidentales, c'est l'isolement économique qui a frappé la péninsule.
La Crimée dépend pour ses approvisionnements de la voie aérienne ou du ferry qui traverse le détroit de Kertch vers le sud de la Russie. Les pénuries sont criantes dans certains supermarchés aux rayons clairsemés.
- 'Nous attendons que ca se normalise' -
Les cartes de crédits Visa et Mastercard ne fonctionnent plus et les échanges se font donc surtout en argent liquide.
L'industrie du tourisme de la péninsule prisée pour ses plages et ses montagnes plongeant dans la mer Noire a subi un brusque coup de frein. Malgré les efforts de la Russie pour encourager ses touristes à s'y rendre, le nombre de visiteurs a chuté de 5,9 millions en 2013 à 3,8 millions en 2014.
"Nous attendons que les choses se normalisent. Que pouvons-nous faire d'autre ?", soupire Elena Attestatova, qui dirige une agence de voyages.
Pavel Berman, lui, était venu de Russie en Crimée au printemps dernier pour y implanter une entreprise de télécoms. Il a fini par jeter l'éponge et est retourné récemment à Saint-Pétersbourg.
"Je n'avais pas de raison de me décarcasser pour contourner (les sanctions, ndlr) alors que je peux travailler ailleurs", explique-t-il par téléphone à l'AFP, soulignant que les services d'eBay, Paypal ou Google sont bloqués en Crimée. "Personne ne s'attendait à un tel isolement".
Pendant que les petites entreprises locales peinent à s'adapter, les grandes entreprises ukrainiennes ont vu leurs activités confisquées via des nationalisations à marche forcée --souvent précédées par l'arrivée d'unités paramilitaires dans leurs locaux. Les compagnies d'électricité Krymenergo et téléphonique Ukrtelecom ont récemment subi ce sort.
Massandra, légendaire producteur de vin de Crimée depuis l'époque tsariste et devenu l'an dernier propriété de structures publiques russes, a récemment lancé un appel au secours dans une lettre à Vladimir Poutine.
Il s'inquiète des conséquences pour ses 2.500 employés de "l'incompétence totale" des nouveaux propriétaires et des autorités locales qui la poussent à vendre de précieux vignobles sur la côte.
"Quand nous avons voté pour rendre la Crimée à la Russie, nous ne pouvions imaginer dans le pire cauchemar qu'il y aurait de telles conséquences", écrit l'entreprise.
Joint par l'AFP, le directeur de Massandra Nikolaï Boïko a indiqué être hospitalisé, victime de problèmes cardiaques liés au stress. Les autorités russes viennent d'ouvrir une enquête, l'accusant d'abus de pouvoir ayant porté préjudice à l'entreprise.