L'Irlande, en proie à un déficit abyssal, s'est lancée dans une chasse aux économies tous azimuts pour prouver aux marchés qu'elle peut le diviser par dix en quatre ans, et échapper à une humiliante mise sous tutelle de l'Union européenne et du FMI.
Le gouvernement, dirigé par le très impopulaire Premier ministre Brian Cowen, s'est donné pour mission de ramener le déficit public, qui va grimper à 32% du Produit intérieur brut (PIB) cette année à cause du sauvetage exorbitant des banques irlandaises, sous 3% en 2014.
Une tâche titanesque, même si le déficit public ne serait "que" de 12% environ cette année si l'on excluait les sommes liées au sauvetage des banques.
Le gouvernement présentera le mois prochain sa stratégie pour y arriver, avant l'annonce en décembre du budget 2011, et les spéculations vont bon train dans toute l'Irlande sur la potion amère qu'il s'apprête à faire ingurgiter au pays.
"Il était déjà évident que les 3 milliards d'euros d'économies déjà promises (pour 2011) ne suffiront pas, et les spéculations tournent désormais autour de 4 milliards voire plus", souligne Dermot O'Leary, économiste du courtier Goodbody.
La Banque Centrale a elle-même plaidé lundi en ce sens, en appelant le gouvernement à accentuer les coupes budgétaires. L'agence de notation Moody's a à son tour mis la pression sur Dublin ce mardi, en indiquant qu'elle envisageait d'abaisser la note de sa dette.
La première victime risque d'être la fonction publique. Brian Cowen pourrait revenir sur son engagement pris au printemps de ne licencier aucun fonctionnaire et de maintenir leurs salaires. Les dépenses sociales sont également dans le collimateur et devraient diminuer.
Côté fiscalité, Dublin exclut d'augmenter l'impôt sur les sociétés, au niveau extrêmement bas (12,5%), par peur de faire fuir les nombreuses multinationales installées dans l'île. Mais les particuliers risquent en revanche d'être mis lourdement à contribution, avec notamment une hausse de la TVA (actuellement fixée à 21% sur la plupart des produits) d'après les pronostics des économistes.
On parle aussi de rendre à nouveau payante la consommation d'eau des ménages, prise en charge par l'Etat depuis une quinzaine d'années.
Enfin, Dublin est prêt à céder ses bijoux de famille en privatisant une ribambelle d'entreprises publiques ou semi-publiques, dont la compagnie nationale de gaz et d'électricité (Bord Gais), l'ex-banque mutualiste EBS, et la compagnie aérienne Aer Lingus, dont il détient encore 25%.
Mais pourquoi s'imposer d'aussi lourds sacrifices ? Si elle échoue à nettoyer ses écuries d'augias budgétaires, l'Irlande craint de ne plus arriver à emprunter sur le marché obligataire à des taux d'intérêts acceptables, et de devoir, comme la Grèce, requérir l'aide du FMI ou de l'UE pour échapper à la banqueroute.
L'idée d'une telle mise sous tutelle extérieure est abhorrée par la classe politique, car elle porterait atteinte à la souveraineté du pays, conquise il y a moins de cent ans.
Mais le gouvernement doit aussi prendre garde à ne pas tomber dans l'excès inverse, c'est-à-dire tailler plus sévèrement qu'il ne le faut dans les dépenses publiques, préviennent les économistes.
Car cela pourrait enrayer la fragile reprise de l'économie irlandaise, pour laquelle la Banque Centrale dit n'attendre qu'une infime croissance (0,2%) cette année.
"Accroître le fardeau des impôts sur les ménages fait courir un risque sérieux de faire régresser à nouveau l'économie", et "le gouvernement doit résister à la tentation de réaliser plus d'économies que ce qui est strictement nécessaire, dans le vain espoir de rassurer les marchés", explique Alan McQuaid, du courtier Bloxham.