par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le gouvernement est déterminé à appliquer un projet d'accord sur la refonte des rémunérations et des carrières dans la fonction publique, au risque d'un bras de fer avec les trois syndicats majoritaires chez les fonctionnaires qui refusent de le signer.
Le Premier ministre a reconnu mercredi qu'il se trouvait devant une "situation inédite". Mais "face à une situation inédite il faut sans doute une décision exceptionnelle", a dit Manuel Valls, pour qui "l'immobilisme n'est pas possible".
"Nous ne voulons pas (...) que ce progrès, le résultat d'un an de négociations, soit bloqué par le refus de s'engager de certains", a-t-il expliqué sur France Inter. "Nous avons décidé (...) que l'accord approuvé par six organisations syndicales s'appliquerait à l'ensemble des fonctionnaires."
Cet accord prévoit une amélioration des traitements mais exclut une augmentation générale et automatique des salaires de la fonction publique au nom des contraintes budgétaires.
La CGT et Force ouvrière, deux des trois non signataires avec Solidaires, ont aussitôt crié au déni de démocratie et à l'enterrement du dialogue social dans la fonction publique.
"En échec politique avec les organisations syndicales (...), le gouvernement n'hésite donc pas à changer les règles du jeu et décide de passer en force", écrit la CGT dans un communiqué.
La CFDT, le plus important des six syndicats signataires, s'est au contraire félicitée comme l'Unsa de cette décision, tout en déplorant que l'application du projet d'accord soit renvoyée au seul gouvernement, faute de majorité syndicale.
"C'est une bonne nouvelle pour les agents, une moins bonne nouvelle pour le dialogue social dans la fonction publique", a résumé pour Reuters Brigitte Jumel, la secrétaire générale de l'union des fédérations de fonctionnaires CFDT.
PAS DE HAUSSE GÉNÉRALE DU POINT D'INDICE
Ce protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) prévoit une amélioration sur trois ans, à partir de 2017, de la rémunération des six millions de fonctionnaires, de 500 à 1.889 euros bruts par an pour les débutants et de 1.056 à 2.111 euros en fin de carrière.
Il prévoit également une négociation salariale annuelle à partir de février 2016, des grades moins nombreux, des cadences d'avancement plus longues et une plus grande mobilité entre les fonctions publiques d'Etat, hospitalière et territoriale.
Mais le gouvernement refuse d'envisager une hausse générale du point d'indice, gelé depuis juillet 2010 et dont le dégel est une priorité absolue pour la CGT, Force ouvrière et Solidaires.
Sans dégel du point d'indice, 2015 ne s'achèvera pas sans mouvement social dans la fonction publique, avertit ainsi le secrétaire général de FO Fonctionnaires, Christian Grolier.
Mais pour Marylise Lebranchu, "on ne peut pas demander à l'ensemble de la population française de comprendre la nécessité de la baisse des dépenses publiques et lâcher l'équivalent de 12 milliards d'euros pour augmenter les fonctionnaires".
La ministre avait pourtant assuré que le projet ne serait appliqué que s'il faisait l'objet d'un accord majoritaire.
Or les signataires (CFDT, Unsa, FSU, CFTC, CFE-CGC, Fédération autonome de la fonction publique) ne pèsent que 49%, même après neutralisation des points obtenus aux élections professionnelles de 2014 par les syndicats les plus petits.
Marylise Lebranchu s'est finalement ralliée à l'idée d'appliquer "partout (...) tout l'accord et rien que l'accord", jugeant que ne pas l'appliquer serait une "catastrophe".
"PAS DE RISQUE JURIDIQUE"
"Ce n'est pas la même chose que dans le privé. On peut passer outre l'absence de majorité absolue. Nous n'avons pas pris de risque juridique", a-t-elle expliqué à la presse.
Le gouvernement invoque le fait que les six syndicats signataires représentent 59% des agents de la fonction publique d'Etat, qui rassemble près de la moitié des fonctionnaires.
Seules ces organisations pourront participer au comité de suivi de la mise en oeuvre du protocole, a précisé la ministre : "Le comité de suivi, c'est le comité de suivi des signataires. Le beurre et l'argent du beurre, ce n'est pas possible."
Le gouvernement reste vague sur le coût de la réforme, évalué par la Cour des Comptes dans un rapport entre 4,5 et cinq milliards d'euros par an à l'horizon 2020, hors économies.
"Ça aura un coût mais c'est loin de ces calculs à la louche", a assuré Marylise Lebranchu, selon qui l'allongement des délais entre deux échelons ou grades dans la catégorie C, par exemple, permettra d'économiser 500 millions d'euros par an.
Reste que cet épisode pourrait aussi raviver des tensions au gouvernement, alors que la CGT invoque, à l'appui de sa décision de ne pas signer l'accord, les récentes déclarations du ministre de l'Economie jugeant inadapté le statut des fonctionnaires.
(Avec Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)