Accoudée à la terrasse de son moulin, près de Lannion, Claudie Bonny regarde le Léguer s'écouler paisiblement. C'est grâce aux eaux de cette rivière que se chauffent les propriétaires des lieux, inlassables promoteurs de l'énergie hydroélectrique qu'ils estiment négligée mais pour laquelle ils sont prêts à se battre.
Selon Jean-Christophe Maillard, de la société Turbiwatt, une jeune entreprise morbihannaise spécialisée dans l'équipement de micro-centrales hydroélectriques, le potentiel de cette énergie très "COP21", pourrait atteindre, avec quelque 30.000 moulins répartis en France, 600 MW.
Mais selon les propriétaires de moulins et leurs associations, le développement de la petite hydroélectricité se heurte à l'application de la règlementation sur les rivières et le principe de la "continuité écologique", leur hantise.
Car cette notion relève de l'interprétation purement française d'une directive européenne portant sur "l'amélioration de la qualité de l'eau et le bon état écologique" des rivières, explique Alain Eyquem, président de la Fédération des Moulins de France (FDMF).
Chaque État étant "libre de choisir les moyens pour répondre à cette directive", précise-t-il, la France a mis l'accent sur l'écoulement des sédiments et la circulation des poissons, via la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques.
Pour les propriétaires de moulins, c'est là que le bât blesse: les seuils, ces ouvrages qui permettent de créer une retenue en amont de la bâtisse et une dérivation d'eau, sont entrés "dans le collimateur de l'administration", affirme M. Eyquem.
Les propriétaires sont ainsi "soumis à une forte pression sur la destruction de leurs seuils", accusés de bloquer l'écoulement des sédiments et empêcher les poissons de remonter les rivières, s'indigne Monique Rieux, présidente de l'Association des riverains de France.
On leur laisse le choix entre "la destruction, subventionnée à presque 100%, et l'aménagement du seuil, avec une passe à poissons notamment", chère et loin d'être autant subventionnée, précise Charles Ségalen, coprésident de l'association des Moulins de France, qui possède le moulin de Launay, à Guengat (Finistère).
- 'Le prix à payer' -
Chez le couple Bonny, propriétaire du moulin de Buhulien depuis 1995, la position de l'administration est incompréhensible.
"Aujourd'hui, se pose la question du changement climatique et de la transition énergétique", martèle Claudie Bonny. "Notre turbine permet de produire 7 KW. C'est une énergie propre". Or "détruire un seuil ôte à un moulin tout son potentiel de production électrique", argumente-t-elle.
Alors à l'heure où la France organise la conférence sur le climat (COP21) et promeut les énergies renouvelables, pourquoi se priver des 600 MW? s'interrogent les associations.
En conséquence, "nous demandons un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique", explique Charles-François Champetier, un des animateurs de l'Observatoire de la continuité écologique.
Demande adressée à la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, qui avait annoncé il y a quelques mois au Sénat que des mesures seraient prises pour encourager cette petite hydroélectricité et la remise en état des moulins. La ministre répondait à un élu communiste du Morbihan, Michel Le Scouarnec, qui estimait qu'on "n'exploite pas assez le potentiel des moulins". Selon le sénateur, celui-ci pourrait atteindre à moyen terme, en Bretagne, 42 Mégawatts.
Un chiffre qui n'est pas validé par la Direction régionale de l'environnement (DREAL) Bretagne, selon laquelle "aucun élément d'analyse ou de recensement (ne permet) de confirmer la réalité de ce potentiel", sa "viabilité économique" et surtout sa "compatibilité" avec la réglementation relative à la continuité écologique.
"On attend de Ségolène Royal qu'elle prenne le temps de la concertation et de la réflexion. Quand les gens veulent faire des choses qui ont un intérêt pour le pays, il faut les aider et non les contrarier dans leurs projets. C'est le prix à payer pour que les citoyens s'approprient la transition énergétique", assure M. Champetier.
Concernant la qualité des eaux des rivières, "on ferait mieux de s'interroger sur l'impact d'autres paramètres": l'agriculture intensive et la pollution des sols, les problèmes d'assainissement, la présence de résidus médicamenteux, accuse Alain Eyquem.